Quand l’Algérie a cessé d’être française, quatre podcasts de France culture

Drapeaux algériens dans les rues d'Alger quatre jours après la proclamation de l'indépendance, à Alger, Algérie, le 5 juillet 1962. ©Getty - Keystone-France/Gamma-Rapho.
Les podcasts donnent la parole à celles et ceux qui, des deux côtés de la Méditerranée, ont été il y a tout juste 60 ans les témoins directs de la fin de la guerre en Algérie. Par le biais de témoignages rares, enregistrés dans le cadre de la série documentaire en 6 épisode produite par L’INA et diffusée sur ARTE en mars dernier En guerres(s) pour l’Algérie, et dans le prolongement de La Guerre d’indépendance racontée par les Algériens (diffusée sur LSD du 28 févier au 3 mars 2022), des Algériens et des Français nous racontent la fin et les conséquences de la Guerre d’Algérie, de leur point de vue et telles qu’ils et qu’elles les ont vécues.

Femmes et hommes, ils sont plus d’une trentaine en tout. Nous les rencontrons 60 ans après les faits, en France et en Algérie. Ils nous délivrent un témoignage précieux et inédit : celui de leur expérience concrète des derniers jours de la guerre, des premières semaines de l’indépendance algérienne et du retour tant attendu à la paix. Ils nous expliquent également à quel point leur vie d’après le conflit a été et continue d’être marquée par celui-ci.

D’origines très diverses, ces personnages sont, en 1962, adolescents ou adultes. Les longues et douloureuses années du conflit franco-algérien ont été décisives dans la formation de leur personnalité et de leur identité.

Du côté des Algériens, les uns ont été des militants actifs du FLN (Front de libération national) ou du MNA (Mouvement national algérien) ; combattants de l’ALN (Armée de Libération Nationale) ou membres de l’Organisation Spéciale du FLN. Les autres ont éprouvé la guerre en tant que « simples » civils, ou se sont engagés du côté des harkis. Ils ont connu la perte de proches, les privations de liberté, la violence des combats et même la torture… Au printemps de l’année 1962, ils sont en passe de devenir les citoyens d’une nouvelle nation : l’Algérie.

Du côté des Français, les uns sont viscéralement liés à cette terre algérienne qu’ils considéraient comme « la leur » depuis plusieurs générations. Les autres ont été contraints de participer directement ou non, à un conflit auquel ils s’identifiaient peu. En ce début d’été 1962, les uns vivent la fin de la guerre comme une catastrophe, car elle signifie la fin de « leur » monde, tandis que les autres éprouvent un immense soulagement.

Entre déplacements forcés, traumatismes à long terme, constructions de nouvelles vies, espoirs d’un avenir meilleurs, désillusions et conflits internes parfois très violents, la fin du conflit franco-algérien ne se fait pas du jour au lendemain. Pour tous nos témoins, elle s’avère au contraire longue, difficile et pleine de séquelles à long terme.

Souvent à l’écart des grands événements médiatiques ou historiques qui ont marqué la chronologie du printemps et de l’été 1962 ainsi que celle des mois et des années suivantes, nos personnages nous révèlent la complexité de ce qu’a été pour eux l’après-guerre d’Algérie avec une exceptionnelle et émouvante acuité. À leurs propos se mêlent des reportages et des chansons d’époque ; nous nous immergeons ainsi dans cette période bien peu connue du grand public.

Épisode 1/4 : Une transition sous le signe du chaos et de la violence

Résumé

Le 18 mars 1962, l’issue des négociations entre belligérants français et algériens n’a signifié ni le retour à la paix, ni l’indépendance immédiate de l’Algérie. Il a cependant lancé un processus de transition politique difficile et chaotique.

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Cet épisode démarre le jour de la signature des accords d’Evian et de l’annonce du cessez-le-feu entre les belligérants. Approuvés par une très large majorité des Français, qui ne comprennent plus les enjeux de cette guerre éprouvante, démarrée il y a plus de 7 ans, ces accords sont considérés comme une victoire par les Algériens, à qui est enfin ouverte la voie vers l’indépendance tant désirée de leur pays.

Djilali Leghima*, évoque l’émotion de cette victoire : “On était contents évidemment de voir l’indépendance, mais on ne pouvait oublier ce qui c’était passé. Il y avait donc la joie et les pleurs à la fois, le même jour, au même moment. Comment on en était-on arrivé là ? Tant de morts, de sacrifices subis pour les Algériens… Oui, il y avait de la joie et des pleurs à la fois”.

Mais les violences ne s’interrompent pas pour autant. Réunis au sein de l’OAS, les partisans les plus radicaux de l’Algérie française font tout, au cours du printemps 1962, pour saboter la transition politique en Algérie.

Jean-François Barennes* souligne que l’importance de cette date n’a pas, pour autant, signifié la fin des bains de sang : “On ne pouvait pas continuer comme ça, donc le gouvernement a pris la décision d’arrêter la guerre. Le cessez-le-feu en Algérie, c’est comme la date de l’armistice. Il y a eu un 11 novembre 1918, il y a eu un 8 mai 1945 et il y a un 19 mars 1962. Mais, ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas eu de morts après, qu’il n’y a plus eu d’horreurs, d’abominations. Il reste, que c’est une date historique”.

Ahmed Yahiaoui* parle des luttes fratricides apparues aussitôt : “Le cessez-le-feu, c’était une très bonne nouvelle pour la cessation des hostilités. Mais, les hostilités, malheureusement, elles ont continué parce que c’était la hache et le couteau. Le FLN continuait à courir après le MNA pour les assassiner. On s’attendait à ce qu’il y ait des descentes par groupes, et effectivement, le FLN venait attaquer le MNA et ça, ça a duré pas mal de temps”.

Mal préparée et précipitée, la transition politique se déroule tant bien que mal dans une atmosphère de chaos et de violence aveugle. Elle pousse ceux qu’on appelle alors les « Pieds Noirs » à quitter massivement leur terre de naissance et elle accroit immanquablement le fossé qui les sépare des Algériens.

Dominique Moebs* se rappelle encore de cette période : “L’Enfer, c’était quotidien. Le bruit, la fureur, la peur, les larmes, le sang partout dans Alger. La guerre, oui, c’était ça. C’était la tristesse et les larmes”.

Avec:

Alban Liechti, né à Paris dans une famille de militants communistes. Premier « soldat du refus », il a été condamné à 4 ans de prison et plusieurs mois de commando disciplinaire.

Roger Deberghes, appelé français envoyé en Algérie à l’âge de 20 ans.

*Djilali Leghima, né à Tizi Ouzou et parti travailler en France en 1951. Militant du MTLD, puis du FLN. Arrêté, torturé puis interné à Fresnes à partir de février 1961.

Bachir Hadjadj, a effectué son service militaire et ses études en France, avant de rejoindre clandestinement les rangs de l’ALN en Tunisie, où il stationne à l’annonce du cessez-le-feu.

Roger Bissonnier, sous-lieutenant (Cherchell promotion 106), Chef de poste et en même temps chef de section de commando de chasse puis chef de section de la Force Locale. Début avril 1962, il est placé à la tête d’une unité de Force Locale composée d’Algériens.

*Jean-François Barennes, sous les drapeaux en Algérie depuis juin 1961 en tant qu’instituteur dans une SAS, puis à la tête d’une patrouille de 12 harkis en opérations de maintien de l’ordre à Alger, de début avril à fin mai 1962.

Nourredine Djoudi, né en 1934, représentant du FLN en Angleterre, puis aux Etats-Unis, avant de rejoindre les rangs de l’ALN, l’Armée de Libération Nationale. Au moment du cessez-le-feu, il se trouve avec son unité en territoire marocain.

*Ahmed Yahiaoui, né en Algérie en 1942 mais installé en métropole depuis le début des années 50. Messaliste convaincu, il a participé à la lutte fratricide entre MNA et FLN.

Mohand Zeggagh, militant de la première heure du FLN en France, arrêté pour transport d’armes. Condamné à 15 ans de travaux forcés par le Tribunal Militaire de Paris, il a été, à 19 ans, le plus jeune prisonnier du FLN.

Mohamed Khaznadji, combattant de l’ALN en Algérie, condamné à mort pour acte de terrorisme, puis gracié par le Général de Gaulle quelques mois avant sa libération.

Slimane Guesmia, 18 ans en 1962, membre des scouts musulmans. A grandi dans un bidonville d’Alger, puis à la Cité Mahiedinne, qui a soutenu activement le FLN et son combat.

Simone Aiach, née dans une famille juive à Alger en 1929. Militante communiste, son mari a été arrêté et torturé par les troupes du Général Massu en 1958 pour avoir soigné des membres du FLN. Elle a été ensuite contrainte de s’installer avec sa famille à Paris.

*Dominique Moebs, née à Alger en 1953. Sa famille vivait sur place depuis près d’un siècle.

Bernard Zimmerman, jeune instituteur à Krystel, un petit port situé à 18 kilomètres de sa ville natale. En 1962, ses élèves y sont tous des petits Algériens.

Gerard Rozenzweig, membre à 18 ans d’un groupe de l’OAS à Oran qui livre, au cours du printemps 1962, une guérilla urbaine permanente contre les militaires français.

Jean Montpezat, jeune officier et futur énarque, a dirigé pendant un an la SAS d’Ain Allem, avant d’être envoyé en avril 1962 préparer la passation de pouvoir à la préfecture d’Oran.

Alice Cherki, née dans une famille juive d’Alger. Interne en psychiatrie, elle a soigné en Tunisie de nombreux Algériens traumatisés par la guerre et revient dans sa ville natale en avril 1962.

Pierre-Marie Guastavino, né en 1946 à Oran dans une famille d’origine espagnole. Sympathisant convaincu de l’OAS en 1962.

Production

Un documentaire de Rafael Lewandowski, réalisé par Rafik Zénine. Une production France Culture, en partenariat avec l’INA et ARTE France.