Patrick Lozès pose enfin la question noire à la France 

Avec Questions noires et Histoire de France, Patrick Lozès signe un livre de mise à nu. Un texte sans emphase, qui revient sur vingt ans de combats et de silences, et interroge, sans colère mais sans détour, la place accordée aux Noirs dans le récit républicain.

Une chronique de Karim Saadi



    Patrick Lozès

Ce livre ne cherche pas l’effet. Il avance autrement, à contre-rythme, dans une langue maîtrisée, parfois retenue, comme si chaque phrase devait d’abord s’assurer de sa justesse. Questions noires et Histoire de France ne se lit pas comme un manifeste, encore moins comme un règlement de comptes. Patrick Lozès y raconte une histoire récente, la sienne et celle du CRAN, mais c’est surtout une histoire française qu’il donne à voir, faite d’angles morts, de rendez-vous manqués et de paroles longtemps différées.

Très vite, le lecteur comprend que l’enjeu n’est pas seulement politique. Il est aussi intime. Lozès écrit depuis une position singulière, celle de l’entre-deux. Né au Bénin, formé en France, engagé dans la vie publique sans jamais renoncer à une forme de distance, il incarne cette complexité que la République peine encore à penser. Son regard n’est ni extérieur ni totalement intérieur. Il observe, note, relie. Pharmacien de formation, il ausculte le corps républicain avec méthode, mais sans froideur. Ce qu’il décrit, ce sont des symptômes familiers : l’invisibilité, le soupçon, la fatigue d’avoir à se justifier sans cesse.

Le fil conducteur du livre tient dans une question simple, presque banale, mais rarement posée frontalement : comment expliquer que des populations noires, présentes sur le sol français depuis des siècles, continuent d’être perçues comme étrangères à l’histoire nationale ? Lozès rappelle des faits connus mais souvent marginalisés. La présence noire ne commence pas avec l’immigration récente. Elle traverse l’histoire coloniale, les outre-mer, les guerres, la reconstruction. Pourtant, dans l’imaginaire collectif, elle demeure cantonnée à une altérité persistante.

C’est dans ce contexte que s’inscrit la création du Conseil représentatif des associations noires de France. Le CRAN n’apparaît jamais comme une évidence, encore moins comme une revendication identitaire fermée. Il naît d’un constat pragmatique : l’absence de représentation structurée face à des discriminations bien réelles. Lozès raconte les débuts, les hésitations, les critiques immédiates. Il montre aussi comment le mot « Noir », aussitôt prononcé, cristallise les peurs françaises. Comme si le simple fait de nommer rendait la République vulnérable.

La République face à ses silences

L’un des mérites du livre est de ne jamais céder à la tentation de l’essentialisation. Lozès refuse de réduire les Noirs de France à une culture unique, à des traditions figées ou à une mémoire homogène. Il parle plutôt d’expérience partagée. Ce qui rassemble, ce n’est pas une origine mythifiée, mais un vécu commun : celui du regard posé sur les corps, des contrôles répétés, des plafonds invisibles. Cette approche, discrète mais ferme, permet de déplacer le débat sans le brutaliser.

La question du chiffre occupe une place centrale, mais là encore sans lourdeur. Lozès raconte la difficulté de faire admettre une évidence : on ne combat pas ce que l’on refuse de mesurer. L’enquête menée en 2007 agit comme un moment de bascule. Pour la première fois, des données viennent objectiver un sentiment largement partagé. La majorité des Noirs en France se disent français, attachés au pays, tout en exprimant une forme de relégation. Le contraste est là, net, presque brutal. Le livre n’en tire pas de leçon spectaculaire. Il laisse les chiffres parler, simplement.

Parallèlement, une autre bataille se joue, plus silencieuse : celle des mots. Lozès insiste sur l’importance de nommer. Il assume le terme « Noir », sans détour, sans guillemets protecteurs. Non par provocation, mais par souci de vérité. Les périphrases, écrit-il en filigrane, finissent par dissoudre les réalités qu’elles prétendent désigner. Le passage consacré à la révision de certaines définitions du dictionnaire dit bien cet enjeu : les mots ne sont jamais neutres. Ils disent ce qu’une société accepte de voir.

Les pages consacrées aux relations avec le pouvoir politique sont parmi les plus révélatrices. Lozès y décrit des rencontres, des échanges parfois tendus, souvent ambigus. Il n’y a ni fascination ni mépris. Seulement une lucidité constante. Le CRAN dialogue, insiste, parfois obtient. Certaines avancées sont concrètes : reconnaissance mémorielle, pensions, visibilité accrue. D’autres promesses s’enlisent. Le livre ne dramatise pas ces échecs. Il les inscrit dans une temporalité longue, celle d’une République lente à se transformer.

Ce qui traverse l’ensemble du texte, c’est une forme de patience inquiète. Lozès ne donne pas de leçon. Il raconte un combat mené sans illusions excessives, mais sans renoncement. La relance du CRAN, annoncée à la fin, ne sonne pas comme un retour en arrière. Elle apparaît plutôt comme la poursuite d’un travail inachevé. Non pour diviser, mais pour rappeler que l’égalité ne va jamais de soi, et qu’elle exige parfois d’être nommée avant d’être partagée.

Informations pratiques
Titre : Questions noires et Histoire de France – Combattre le racisme
Auteur : Patrick Lozès
Éditeur : Éditions de l’Aube
Date de parution : octobre 2025
Pagination : 272 pages