New-York : l’art moderne africain en pleine expansion

La 1-54 Art Fair a achevé son escale new yorkaise le 11 mai. Une étape de plus dans la reconnaissance et l’expansion de l’art moderne africain. Visite guidée et morceaux choisis avec Touria El Glaoui, fondatrice de la foire.

                                      Prisca La Furie Munkeni

Ville monde où l’on peut tout aussi bien entendre l’appel à la prière du muezzin sur Brooklyn, manger dans une gargote de rue asiatique ou voir un cowboy en slip déambuler sur Times Squares sous une pub de Beyoncé, New York dispose de cette magie de pouvoir voyager sans avoir trop à se déplacer. Et du 8 au 11 mai, la Grosse Pomme a proposé une odyssée au cœur d’une dimension encore trop méconnue, l’art moderne africain, promu par la foire internationale qui lui est dédiée, la  1-54 Art Fair.

C’est au Halo, un centre d’exposition au cœur du Financial District de Manhattan que les artistes du continent, de sa diaspora et leurs galeristes ont dévoilé leurs dernières œuvres. Un pied de nez de l’art à la finance, dans ce quartier temple du capitalisme, à un jet de pierre de Wall Street. Une affirmation aussi que la nouvelle vague africain compte s’imposer au monde et changer son regard sur la création africaine, souvent ramené aux seuls cultures primitives.

 

Inondé d’un puits de lumière, la fontaine qui trône au cœur du lieu berce les pas des visiteurs d’une agréable quiétude. Nulle annonce au micro, pas de musique d’ambiance, le temps s’arrête pour que l’œil et les sens se consacrent tout entier à la découverte des galeries sélectionnées et de leurs hérauts. Ils viennent du Nigeria, de République Démocratique du Congo, de Côte d’Ivoire, d’Afrique du Sud, et surtout du Brésil, de France, du Royaume Uni, des Etats Unis, et du Japon. Un signe que le continent irradie, la preuve aussi que le passage à l’international reste complexe pour les galeries implantées localement.

« On était face à un immense vide»

« C’est vrai qu’à New York, on a moins de galeries africaines en raison des difficultés logistiques et des prix des transports, assume Touria El Glaoui, la fondatrice de 1-54. Le marché de l’art moderne africain repose encore beaucoup sur des artistes qui se sont déjà exportés, et notre mission, c’est de continuer à soutenir ce mouvement que ce soit en permettant à des talents d’être découvert et à des professionnels de rayonner à l’international.» Une petite révolution entamée voilà plus d’une décennie, en 2013, lors du lancement de la foire, à Londres.

« On était face à un immense vide concernant l’art moderne africain. Presque tout était à faire, à faire comprendre, découvrir, organiser. On a très vite senti  que nous devions avoir plusieurs étapes et villes où nous implanter. Londres pour l’accessibilité, New York pour le rayonnement mondial (en 2015)  et Marrakech (en 2018) parce qu’être en Afrique était essentiel. La chance que nous avons c’est que le public est particulièrement réceptif. La mise en valeur de l’art moderne africain, l’éducation des collectionneurs, tout s’est passé presque naturellement.»

Une approche au feeling qui n’a pas empêché un peu de stratégie. Dès ses premiers évènements, 1-54 s’est placé dans le sillage de Frieze, la foire référence de l’art contemporain qui se décline également à Londres et New York. En épousant ses dates d’évènement, 1-54 a pu bénéficier de l’envie de nouveauté des visiteurs comme des promoteurs du célèbre salon. « Ils ont accueilli notre initiative avec bienveillance».

« 1-54 est fait pour donner un accès au marché global »

Attablée à la terrasse d’un café new yorkais, la franco-marocaine revient tout juste d’un déjeuner avec ces grands collectionneurs si prisés, et heureusement dépensiers pendant cette escapade new yorkaise. « Ils ne m’ont pas dit combien ils avaient acheté d’œuvres, mais je sais qu’ils l’ont fait et bien sûr c’est capital pour que le marché de l’art africain continue de progresser. Je sais bien que nous arrivons à la fin du cycle de la découverte. Auparavant, pour des œuvres entre 2 000 et 10 000 dollars, ils réfléchissaient à peine. Désormais le marché est plus mûr, il faut davantage discuter et convaincre, cela demande un effort supplémentaire, mais c’est le signe d’un progrès. Ils s’intéressent de plus en plus aux artistes, à leur histoire, à leur conditions de travail. Nous sommes loin d’être à plaindre.» Dans un marché de l’art globalement en récession, la branche africaine parvient à se maintenir et poursuivre son expansion. « 1-54 est fait pour donner un accès au marché global».

Matheus Marques Abu

Un accessit auquel ont goûté pour la première fois Kub’Art, installé à Kinshasa et Tern à Nassau (Bahamas). « Oui les ventes se passent bien», sourit la Caribéenne Amanda Coulson. « C’était très important pour nous d’être là, assume la caribéenne Amanda Coulson. 95 % de notre population est de descendance africaine, nous sommes un lien dans l’histoire entre l’Afrique et les Etats-Unis. Vous savez les gens pensent qu’aux Bahamas on vit dans des hôtels de luxe, mais la population a plus à voir avec le mode de vie d’Afrique de l’Ouest qu’avec l’Occident notre présence permet de marquer ce sens, de pouvoir écrire notre histoire, y compris artistique nous-même..»

Une histoire riche, en mouvement et protéiforme. Où les tissages de cuirs du sud-africain Abongile Sidzumo (Galerie Kalahsnikov) peuvent côtoyer l’onirisme aérien de Matheus Marques Abu (Karla Osario Gallery; où la rage des photos hybrides de Prisca La Furie Munkeni (Kub’Art) qui mêlent la terre du village de ses ancêtres aux téléphones issus du pillages du sol Congo cohabitent avec les poses savamment dessinées d’Ousmane Dia (Filafriques). Une profusion de voix, de visions que donne à voir le continent et que le monde peut désormais découvrir.

 

 

Illustration

 

Ousmane Dia

 

 

 

 

 

Abongile Sidzumo