Mona Zaki redonne voix à Oum Kalthoum dans « El Sett »

À Marrakech, lors de la première mondiale du film « El Sett », un vent d’émotion parcourt la salle. Mona Zaki, actrice égyptienne reconnue, relève un défi colossal : incarner Oum Kalthoum, icône inégalée de la chanson arabe. Sous la direction du cinéaste Marwan Hamed, ce biopic offre un portrait intime et ample d’une femme dont la voix continue de bouleverser le monde arabe, cinquante ans après sa disparition.


Oum Kalthoum et Mona Zaki

Se glisser dans la peau d’Oum Kalthoum n’est pas une tâche comme une autre. Mona Zaki le confie volontiers, elle a longtemps hésité avant d’accepter ce rôle : « Au début, j’avais très peur. Je ne savais pas par où commencer », confie-t-elle en marge du festival. À 49 ans, elle a derrière elle une carrière brillante, mais rien ne l’avait préparée à un tel vertige. Oum Kalthoum, surnommée “l’astre d’Orient”, ne se limite pas à une voix ; elle incarne une époque, un idéal, un pan entier de la mémoire collective arabe.

Pendant plus d’un an, Mona Zaki s’est plongée dans l’univers de la chanteuse. Cours de chant, travail sur la posture, répétitions avec des coachs vocaux et dramatiques : « L’entraînement a duré un an et trois mois », précise-t-elle. Si ce n’est pas elle qui chante dans le film, l’actrice a dû apprendre à habiter le corps et les gestes d’Oum Kalthoum, à saisir l’évolution de sa voix à travers les âges. Ce travail de composition dépasse l’imitation. Il s’agit de faire renaître à l’écran une légende tout en respectant sa complexité.

Oum Kalthoum, un destin hors du commun

Le film s’ouvre sur une séquence emblématique : l’Olympia de Paris, novembre 1967. Sur la scène mythique, Oum Kalthoum entonne “Enta Omri” devant un public bouleversé. Ce concert a lieu quelques mois seulement après la guerre des Six Jours, dans un contexte politique tendu. La chanteuse reverse l’intégralité de la recette à l’armée égyptienne, un geste qui la consacre encore un peu plus comme voix du peuple.

Mais « El Sett » ne se contente pas d’illustrer la gloire. Le film remonte aux origines, dans le delta du Nil, où la future diva grandit dans une famille modeste. Son père, imam, devine très tôt son talent et l’emmène chanter lors de cérémonies, parfois déguisée en garçon pour contourner les interdits sociaux. Cette enfance entre ombre et lumière, entre traditions rigides et aspirations artistiques, façonne la jeune fille. Elle prend la route du Caire, franchit les obstacles d’un milieu musical réservé aux hommes, puis conquiert une Égypte en pleine mutation.

Marwan Hamed insiste sur la modernité de son sujet : « Son parcours possède tous les éléments nécessaires pour créer une histoire unique », souligne-t-il. Oum Kalthoum ne fut pas seulement une immense artiste. Elle a été une femme influente, capable d’imposer ses choix et de braver les attentes du public. Cette liberté de ton et de vie contribue à son aura. Sa carrière, jalonnée de succès et de sacrifices, symbolise la force et l’espoir d’un peuple.

Le film s’attache à montrer les deux facettes d’Oum Kalthoum. En public, la chanteuse dégage une autorité presque surnaturelle. Sa présence scénique, sa maîtrise des silences et des nuances, font de ses concerts des moments de communion collective. Les spectateurs, d’hier à aujourd’hui, parlent encore du pouvoir hypnotique de ses chansons, capables de suspendre le temps.

Mais derrière la puissance, il y a la fragilité. Mona Zaki et Marwan Hamed s’accordent à dire que c’est la vulnérabilité de la diva qui les a le plus marqués. Derrière les applaudissements, Oum Kalthoum doutait, souffrait, hésitait à chaque étape de sa carrière. La scène, refuge autant qu’épreuve, était le lieu de toutes ses contradictions. « Quand on la regarde sur scène, on ne voit aucune faiblesse. Mais en réalité, il y avait beaucoup de vulnérabilité », explique le réalisateur.

Ce sont ces contrastes que le film explore : l’enfant surdouée, l’artiste adulée, la femme parfois seule, soucieuse de chaque note et de chaque parole. Cette humanité, le biopic la fait ressentir sans jamais tomber dans l’hagiographie. Mona Zaki livre une interprétation habitée, toute en nuances, où se mêlent admiration et lucidité.

Un héritage vivant

Cinquante ans après la mort d’Oum Kalthoum en 1975, sa voix continue de vibrer dans les rues du Caire, dans les cafés de Beyrouth, dans la mémoire des diasporas. « El Sett » rappelle combien cette figure est présente dans l’imaginaire collectif arabe. Le film, tout en respectant la fidélité historique, interroge aussi l’actualité de son héritage. À une époque où la place des femmes dans le monde arabe reste un enjeu crucial, Oum Kalthoum demeure un symbole d’émancipation, de courage et de résilience.

Pour Marwan Hamed, il était urgent de faire découvrir ou redécouvrir cette figure aux nouvelles générations : « Je pense que 50 ans après sa mort, elle est toujours bien vivante parmi nous, non seulement grâce à sa voix, mais aussi grâce à ce que sa voix portait pour les gens. »

À travers « El Sett », Mona Zaki et Marwan Hamed livrent bien plus qu’un portrait de star. Ils racontent une épopée humaine, où la passion et l’art triomphent des conventions. Le film, applaudi à Marrakech, promet de toucher un large public. Il met en lumière, dans un monde avide de repères, la nécessité de croire encore à la magie d’une voix qui traverse le temps.

Informations pratiques : 

« El Sett » de Marwan Hamed, avec Mona Zaki dans le rôle d’Oum Kalthoum, a été présenté en avant-première mondiale au Festival international du film de Marrakech. La sortie en salles est prévue courant 2026.