L’Institut du Monde Arabe dévoile le Liban disparu

Le musée de l’Institut du monde arabe dévoile une sélection inédite de photographies anciennes du Liban issues de la Bibliothèque orientale de Beyrouth, aux côtés d’une sculpture de Chaouki Choukini créée après l’explosion du port de Beyrouth en 2020. Ce dialogue entre images d’archives et art contemporain met en lumière un patrimoine fragilisé par les conflits et célèbre la résilience culturelle libanaise.

Du 3 avril 2025 au 4 janvier 2026, l’Institut du monde arabe (IMA) invite le public à découvrir le Liban d’antan à travers « Photographier le patrimoine du Liban, 1864-1970 », une exposition réunissant des clichés historiques exceptionnels. Pour la première fois en France, ces photographies issues des archives de l’Université Saint-Joseph de Beyrouth dévoilent une douzaine de sites et monuments emblématiques – Byblos, Baalbek, Tyr, Saïda, entre autres – ainsi que les paysages variés du pays, des montagnes du Chouf aux plaines de la Béqaa . Réalisées entre 1864 et 1970, elles témoignent de l’architecture et de la vie quotidienne au Liban sur plus d’un siècle, offrant un aperçu visuel d’une richesse culturelle souvent méconnue.

Beaucoup de ces images n’avaient jamais été montrées hors du Liban jusqu’alors. Leur qualité impressionne tant par la maîtrise technique des premiers photographes que par leur valeur documentaire : on y voit par exemple des temples antiques avant les restaurations modernes, ou des scènes de marché et de port immortalisées il y a des décennies. Ces photographies ont été prises pour la plupart par des pères jésuites pionniers de l’archéologie, qui parcouraient le pays au début du XXᵉ siècle pour illustrer leurs cours et publications scientifiques. Au fil du temps, leur collection s’est enrichie de milliers de clichés, dont certains réalisés par de grands photographes du Levant de l’époque. Actuellement en cours de numérisation avec le soutien de partenaires français, ce fonds photographique constitue un trésor patrimonial inestimable, désormais partagé avec le public parisien.

Patrimoine menacé et sensibilisation en France

L’originalité de cette exposition est de mettre en lumière un patrimoine libanais dont l’existence même a été menacée par les tumultes de l’histoire. Les sites historiques visibles sur ces images ont traversé guerres et catastrophes naturelles, et bon nombre ont été « grandement mis en péril par les bombardements de l’armée israélienne » lors des conflits qui ont secoué le Liban . Voir ces photographies aujourd’hui, à Paris, donne une résonance particulière : elles montrent la splendeur d’un héritage culturel dans son état originel, avant qu’il ne soit endommagé ou altéré par les événements. En les admirant, les visiteurs en France prennent conscience de la fragilité de ce patrimoine moyen-oriental et de l’urgence de sa préservation.

Cette prise de conscience s’inscrit d’ailleurs dans une démarche plus large de l’IMA. En parallèle de l’exposition libanaise, le musée présente « Trésors sauvés de Gaza – 5000 ans d’histoire », une autre exposition dédiée aux vestiges archéologiques palestiniens récemment sauvés des destructions. Ce double programme, consacré à des trésors culturels menacés, souligne l’engagement de l’IMA à sauvegarder la mémoire des peuples en zone de conflit et à la partager avec le public occidental. L’initiative fait également écho aux liens historiques unissant la France et le Liban : Paris, souvent qualifiée de « seconde patrie » pour de nombreux intellectuels libanais, se fait ici le relais de leur histoire et de leur patrimoine. L’accueil enthousiaste réservé à ces images inédites témoigne de l’impact fort de cette présentation en France, autant auprès de la diaspora libanaise émue de retrouver des fragments de son passé, que du public français découvrant sous un nouveau jour un Liban au-delà des clichés habituels.

« Li Bayrut », une ville meurtrie

 

Le sculpteur libanais Chaouki Choukini
Chaouki Choukini, « Li Bayrut » (2020), bronze, 153 × 65 × 30 cm, exposé pour la première fois à l’IMA. L’œuvre rend hommage à Beyrouth après l’explosion du 4 août 2020

En écho aux photographies d’autrefois, l’IMA expose également une œuvre contemporaine chargée d’émotion. « Li Bayrut », grande sculpture en bronze du sculpteur libanais Chaouki Choukini, accueille les visiteurs à l’entrée du parcours. Réalisée au lendemain de la double explosion dévastatrice du port de Beyrouth le 4 août 2020, cette pièce inédite constitue un vibrant hommage à la capitale libanaise ravagée. Son titre, Li Bayrut (qui signifie « Pour Beyrouth » en arabe), est emprunté à une célèbre chanson de la diva Fairouz, symbole d’amour et de douleur pour la ville. Choukini, né au Liban en 1946 et formé aux Beaux-Arts de Paris, est reconnu pour ses sculptures abstraites mêlant influences orientales et occidentales. Ici, il a imaginé une forme verticale évoquant à la fois une silhouette architecturale et un totem brisé. Au centre de la masse de bronze sombre s’ouvre un vide circulaire – une béance qui suggère autant la bombe qui a éventré Beyrouth que la lumière pouvant filtrer à travers les ruines. Créée à l’initiative du collectionneur Claude Lemand, qui a encouragé l’artiste à réagir à la tragédie, la sculpture a été offerte au musée de l’IMA en 2024 (donation Claude et France Lemand). Présentée pour la toute première fois au public à l’occasion de cette exposition, elle se dresse comme un symbole de résilience. L’IMA précise qu’elle est exposée « en hommage à la créativité des artistes du Liban et de sa diaspora, et au pouvoir de résistance de l’œuvre d’art ».

 

Entre héritage et renaissance culturelle

En réunissant ces photographies séculaires et cette sculpture contemporaine, le parcours propose un dialogue saisissant entre le passé et le présent du Liban – sans toutefois tomber dans la nostalgie ou le discours convenu. Au contraire, l’exposition célèbre la permanence de l’esprit libanais à travers les épreuves. Les images d’archives préservent la beauté d’un patrimoine qui a survécu aux tempêtes de l’histoire, tandis que la création de Choukini témoigne de la vitalité artistique qui émerge des décombres. L’ensemble offre aux visiteurs français une immersion à la fois érudite et émouvante dans l’âme du Liban. Ce faisant, l’IMA transforme son musée en un pont entre les cultures et les époques, où l’on découvre, au détour d’un couloir, la cour d’un temple antique à Baalbek, et quelques pas plus loin, la silhouette tragique mais résiliente de Beyrouth en bronze. « Photographier le patrimoine du Liban, 1864-1970 » et « Li Bayrut » se répondent ainsi, l’un apportant le contexte historique et l’autre la profondeur humaine de l’actualité récente. Cette alliance inédite entre archives photographiques et art contemporain amplifie le message de l’exposition. Malgré les destructions, l’héritage culturel libanais perdure et continue de rayonner. À la fois leçon d’histoire et acte de foi en l’avenir, ce rendez-vous culturel parisien fait sortir des trésors oubliés de l’ombre et ravive, chez chaque visiteur, l’attachement à la préservation de la mémoire et la croyance en la renaissance d’un patrimoine vivant.