« L’histoire de Souleymane », un film coup de poing sur l’exil et la survie

Présenté à Cannes en 2024 et couronné aux César 2025, L’histoire de Souleymane de Boris Lojkine plonge au cœur du quotidien d’un migrant sans papiers à Paris. Entre réalisme brut, tension dramatique et performance bouleversante d’Abou Sangaré, cette œuvre coup de poing s’impose comme un moment de cinéma essentiel.

Dans le paysage contemporain, rares sont les films qui capturent avec autant de justesse une réalité souvent reléguée à la marge. L’histoire de Souleymane, réalisé par Boris Lojkine, appartient à cette catégorie d’œuvres qui marquent les esprits et bousculent les consciences. Ce drame social suit Souleymane, un jeune Guinéen sans papiers travaillant comme livreur à vélo dans Paris. Alors qu’il tente de survivre dans une ville où chaque jour est une épreuve, il dispose de 48 heures pour préparer un entretien crucial avec l’OFPRA, l’instance qui décidera de son avenir. Ce compte à rebours haletant, filmé avec une intensité quasi-documentaire, plonge le spectateur dans une immersion saisissante au cœur du parcours de ceux que l’on croise sans voir.

Dès sa présentation à Cannes 2024, dans la section Un Certain Regard, le film s’est imposé comme l’un des plus percutants de la sélection. La mise en scène de Boris Lojkine, qui avait déjà exploré des thématiques similaires avec Camille (2019), s’appuie sur un réalisme brut, une caméra au plus près des visages, captant l’épuisement, la peur et l’espoir de son protagoniste. Abou Sangaré, incandescent dans son premier rôle au cinéma, livre une interprétation sidérante qui lui vaut le Prix du Jury et le Prix d’interprétation masculine.

Ce succès s’est confirmé aux César 2025, où le film, nommé dans huit catégories, décroche quatre prix majeurs : Meilleur espoir masculin pour Abou Sangaré, Meilleur acteur dans un second rôle pour Nina Meurisse, Meilleur scénario original pour Boris Lojkine et Delphine Agut, et Meilleur montage pour Xavier Sirven. Une consécration pour une œuvre qui dépasse le cadre du cinéma pour interroger le regard porté sur les migrants et les travailleurs précaires.

L’un des points forts de L’histoire de Souleymane réside dans sa capacité à éviter tout misérabilisme ou caricature. Lojkine ne moralise jamais, ne cherche pas à faire de son personnage une figure sacrificielle. Il capte au contraire avec une justesse saisissante la brutalité d’un quotidien invisible, entre course contre la montre pour les livraisons, précarité extrême, humiliations ordinaires et indifférence généralisée. La bureaucratie kafkaïenne à laquelle il est confronté est mise en lumière dans une scène suffocante : le face-à-face avec la fonctionnaire de l’OFPRA, interprétée par Nina Meurisse. Pendant 45 minutes, chaque mot, chaque silence de Souleymane peut sceller son destin.

Abou Sangaré, dont le parcours personnel résonne avec celui de son personnage, livre une performance d’une intensité rare. Son regard, son corps marqué par la fatigue et ses silences en disent souvent plus que n’importe quel dialogue. Son César du meilleur espoir masculin salue non seulement un talent brut, mais aussi une incarnation poignante d’une réalité encore trop peu montrée à l’écran.

Si L’histoire de Souleymane frappe si fort, c’est aussi parce qu’il s’inscrit dans une actualité brûlante. Alors que l’immigration est au cœur des débats politiques en France et en Europe, que les migrants sont réduits à des statistiques ou à des discours populistes, ce film rappelle avec force qu’il s’agit avant tout d’histoires humaines. Il donne un visage, une voix et une dignité à ceux que l’on laisse trop souvent dans l’ombre.

Le film entre également en résonance avec les récentes mobilisations des livreurs précaires, exploités par les plateformes numériques dans des conditions inhumaines. En choisissant comme protagoniste un de ces travailleurs invisibles, Lojkine va au-delà du seul récit migratoire pour questionner les inégalités sociales et économiques qui structurent nos sociétés.

Désormais disponible en streaming sur Apple TV, FILMO, UniversCiné et Amazon Video, L’histoire de Souleymane continue d’élargir son audience bien au-delà des salles obscures.

Par sa force documentaire et son intensité dramatique, Boris Lojkine signe une œuvre magistrale, portée par un Abou Sangaré inoubliable.