C’est un document poignant que nous livre la jeune réalisatrice franco algérienne Lina Soualem après avoir interrogé longuement ses grands parents.
Une chronique de Christian Labrande
Durant trois années elle s’ est attachée à capter les témoignages de ses grands parents qui ont quitté l’Algérie dans le années cinquante pour s’installer dans le puit de Dôme , à Thiers. Son grand père Mabrouk y fut toute sa vie ouvrier dans une usine de coutellerie
L’événement déclencheur du documentaire sera la séparation de ses grands parents après 62 ans de mariage : « Un choc! J’ai décidé de faire quelque chose pour capturer leur mémoire. J’ai eu peur qu’ils disparaissent sans nous transmettre leur histoire »
« Celui qui part en France ne revient pas »
Le film est tissé de séquences de confessions de la réalisatrice avec sa grand mère. Le récit est ponctué de silences émus et d’irrépressibles fous rire, comme une défense surgissant dès que le propos touche à des points trop sensibles. Le grand père Mabrouk, un taiseux endurci que sa petite fille arrive néanmoins à arracher à son silence, livre une confession pathétique : « celui qui part en France ne revient pas »
« Au fil de ces entretiens, rapporte la réalisatrice, j’ai commencé à comprendre que cette séparation tardive de mes grands parents était le résultat d’une série de non choix: séparation avec leur terre natale, l’Algérie, et pour ma grand-mère Aïcha , séparation brutale avec le monde de l’enfance quand elle est contrainte à se marier à 15 ans. On raconte qu’elle se réfugia dans un arbre une demi journée pour échapper à cette union forcée »
Les Algériens, ces prolétaires
Le film est aussi un témoignage édifiant sur l’oubli de la condition faite aux prolétariat algérien que la France a fait venir après la deuxième guerre mondiale comme main d’ »œuvre à bon marché. Le grand père est ainsi confronté à une véritable séance d’anamnèse quand on le filme dans le musée de la coutellerie de Thiers et qu’on le voit confronté à une collection d’ objets qu’il a faconnés toute sa vie durant.
Le témoignage du père de Lina, l’acteur Zinédine Soualem, vient opportunément éclairer cette sensation de déracinement de la communauté algérienne « on a tous vécu sur le mythe du retour, on était là en France mais on allait repartir, c’est ce que nous répétaient nos parents ». En même temps cette terre natale semble désincarnée abstraite : « je ne me sentais ni algérienne ni francaise ajoute la grand-mère Aïcha, j’ai vécu dans une sorte de néant » Et curieusement d’ailleurs la guerre est absente de leurs récits…
Des « sujets », pas des citoyens
Un extrait du commentaire vient alors rappeler certaines évidences oubliées « un Algérien n’est pas considéré comme un citoyen, mais comme un sujet français; aux élections une voix française vaut trois voix algériennes.
Le précieux travail du film de Lina Soualem est de montrer que derrière les silences obstinés du grand père , les fous rire de la grand-mère se cachent de grandes douleurs.
« C’’est a à travers leur Algérie que j’ai pu rencontrer la mienne » conclut la réalisatrice qui prépare un autre documentaire sur une autre histoire de déracinement, celle des Palestiniens.