À l’occasion des Jeux Olympiques de Paris 2024, Mondafrique vous présente les pionniers africains des JO. Episode numéro 5 avec l’équipe du Cameroun, médaillée d’or en football en 2000, objet d’un entretien exclusif avec Hervé Kouamouo, journaliste et chercheur en sociologie du sport.
Sydney, Jeux Olympiques 2000. Vainqueur en début d’année de la CAN, le Cameroun retrouve les Jeux Olympiques seize ans après sa première participation et quatre après le sacre du Nigeria, première équipe africaine à gagner les JO. Sans pression, les partenaires de Patrick Mboma sortent d’une poule où sont également logés les États-Unis, le Koweït et la République tchèque. Baladés entre Brisbane et Canberra, ils ne découvriront la cité olympique qu’en finale.
Avant cette dernière étape, devant les 114.000 spectateurs du Stade Olympique, les Lions Indomptables ont fait honneur à leur surnom en écartant le Brésil après prolongation (1-2) puis le Chili, sur le même score, à Melbourne. D’indomptables, les Lions deviennent invincibles et décrochent l’or. Menés (2-0) par l’Espagne à la mi-temps de la finale, les coéquipiers du jeune Samuel Eto’o, buteur ce jour-là, reviennent en cinq minutes (53e, 58e) avant de s’imposer lors de la séance de tirs au but (5-3).
Plusieurs joueurs prennent dans la foulée l’avion pour Paris, où un amical contre la France les attend le 4 octobre. Auréolé de sa gloire olympique, Patrick Mboma inscrira au stade de France un but devenu mythique (1-1). Même si quelques médailles sont venues enrichir le palmarès continental, aucune équipe africaine n’a fait aussi bien que le Nigeria et le Cameroun depuis.
Patrick Juillard
Hervé Kouamouo, journaliste et chercheur en sociologie du sport, revient sur l’épopée des JO de Sydney 2000.
« La dimension mentale apparaît primordiale, avec une série de scénarios défavorables durant la phase à élimination directe que l’équipe a toujours su surmonter. Contre le Brésil, elle mène 1-0 jusque dans les dernières minutes, prend un deuxième carton rouge et finit par l’emporter à neuf. Contre le Chili, l’équipe encaisse un but et revient au score. Pareil contre l’Espagne. Cela montre des ressorts mentaux très forts. Le programme des JO impose des matchs rapprochés avec des groupes réduits et des joueurs plus sollicités. Pour surmonter les obstacles et aller au bout, la dimension physique était également bien présente et a longtemps été un marqueur de cette sélection. Le groupe était de qualité. Le changement de gardien, avec la titularisation de Carlos Kameni à partir des matchs à élimination directe, a compté également dans le succès final, comme la présence de joueurs créatifs comme Lauren, Samuel Eto’o et d’une certaine manière Patrick Mboma.
Mondafrique « Les joueurs camerounais aiment l’attaque. Ma politique c’est que si nous attaquons l’autre équipe, elle ne peut pas nous attaquer », expliquait Jean-Paul Akono, le sélectionneur. Comment cela s’est-il vérifié pendant le tournoi ?
L’équipe était-elle vraiment conçue pour être offensive ? Je ne sais pas. Ce qui est en revanche certain, c’est qu’elle a souvent dû aller chercher les résultats et a donc joué vers l’avant. Ceci dit, les grands atouts de cette équipe étaient les joueurs qui avaient gagné la Coupe d’Afrique des Nations quelques mois plus tôt. La doublette offensive Mboma-Eto’o avait fait ses preuves au Ghana et au Nigeria, le jeu était direct avec une recherche rapide des deux attaquants. Oui, le Cameroun jouait vers l’avant, avec beaucoup de verticalité. Pour autant, je ne pense pas que l’équipe était ouvertement bâtie de façon offensive. Elle savait aller chercher le résultat et n’était pas bridée offensivement. Sur l’action qui amène le deuxième but contre le Brésil, alors que l’équipe est réduite à neuf il reste encore trois joueurs qui suivent l’action. Des profils comme ceux des latéraux Gérémi Njitap et Pierre Womé étaient à la fois très durs défensivement mais aussi dotés de bonnes qualités d’utilisation du ballon, qui permettaient de passer rapidement de phase défensive en phase offensive. Était-ce vraiment un choix ? Je ne le pense pas. La preuve ? Le gardien Carlos Kameni fait partie des révélations de ces JO, ce qui montre que son équipe concédait beaucoup d’occasions.
Mondafrique Le triomphe du Cameroun suit alors celui de Nigeria en 1996, à Atlanta. Comment expliquer ce temps fort africain aux JO, plus revu depuis ?
Le football africain a bénéficié pendant un temps des changements de règles et des stratégies des clubs. Après la Coupe du monde 1990, de nombreux réseaux se sont mis en place, à travers des clubs ou des agents, pour détecter des jeunes joueurs et les envoyer effectuer leur post-formation en Europe. L’équipe du Nigeria de 1996 ou l’équipe du Cameroun de 2000 ont par conséquent bénéficié de ces joueurs formés ou post-formés dans des centres de formation de prestige, tels que l’Ajax Amsterdam, le Real Madrid, le FC Barcelone… Cela explique que sur un tournoi comme les JO ils aient été capables de se mettre au niveau sans délai. Dans un deuxième temps, l’assouplissement des règles sur les nationaux et l’arrêt Bosman ont facilité la possibilité pour les joueurs africains de jouer dans des grands clubs. Ainsi, l’équipe du Nigeria de 1996 comptait des joueurs d’Arsenal, de l’Ajax et d’autres clubs de Ligue des Champions. Pour le Cameroun, c’était pareil. Par la suite, la FIFA a imposé aux clubs de ne plus recruter de joueurs de moins de 18 ans. Et ce sont aujourd’hui plutôt les sélections africaines qui viennent chercher en Europe des joueurs ayant une origine africaine.
Mondafrique Le Cameroun a ensuite enchaîné avec la CAN 2002. Qu’est-ce que cette génération avait donc d’exceptionnel ?
Je pense que ce succès provient d’un mélange entre le travail des écoles de formation créées après la Coupe du monde 1990, la Kadji Sports Academy et les Brasseries du Cameroun qui ont formé des joueurs au niveau international, les parcours de l’équipe nationale au Mondial 1982 puis au Mondial 1990 et l’appétence développée de façon inconsciente par le Cameroun pour le duel physique. Cette dernière spécificité tient notamment à ce que la coopération sportive, dans les premières années d’après l’indépendance, se faisait plutôt avec les pays de l’ancienne Yougoslavie, où la dimension athlétique était très importante dans la construction du footballeur, un peu plus en tout cas qu’en France et dans le reste du monde occidental. Cette génération avait envie de se montrer comme sa devancière de 1990, avec une dimension athlétique où les Camerounais étaient dominants et faisaient peur à leurs adversaires, mais aussi une certaine folie, avec des joueurs de talent voire de génie, on peut citer évidemment les attaquants Samuel Eto’o et Patrick Mboma, secondés par un très bon gardien et d’excellents lieutenants. J’ai tendance à dire qu’il y avait dans cette équipe les « maçons », les lignes arrière, les « peintres » au milieu de terrain, avec Geremi Njitap, Marc-Vivien Foé et Pierre Womé, et enfin les « architectes », producteurs de beauté, en attaque. C’était une équipe assez complète et équilibrée, avec des remplaçants d’un bon niveau.
Mondafrique Les Lions Indomptables ont mis 15 ans à gagner de nouveau un titre, en l’occurrence la CAN 2017. Comment expliquer ce long creux ?
La vraie difficulté dans le sport de haut niveau consiste à garder son avance. L’équipe est peu à peu devenue moins impactante. Il n’y a pas eu de remise en question dans le groupe, ce qui a donné lieu à une lutte d’influence et de pouvoir en son sein. Cette équipe a été utilisée jusqu’à la Coupe du monde 2010, avec auparavant une finale de CAN en 2008. Les leaders se sont accrochés à leur statut et n’ont pas su lâcher pour céder la place à une nouvelle génération et lui permettre d’éclore. Les règles de la FIFA ont fait que les centres de formation camerounais ne produisent plus de la même manière, puisque la post-formation ne peut plus se faire en Europe. Enfin, le championnat national n’est pas d’un bon niveau. Cela n’a pas permis de régénérer le groupe par le Cameroun. Les joueurs formés localement ne vont plus se post-former dans des grands clubs et commencent bien souvent par des championnats plus exotiques ou secondaires. Pendant longtemps, jusqu’en 2014 au moins, Samuel Eto’o a été l’arbre qui cachait la forêt. La victoire à la CAN 2017 est à mon sens une forme d’accident de l’histoire, avec une génération que personne n’attendait et a gagné en jouant sur les qualités typiquement camerounaises d’abnégation et de combat.
Pour conclure, je dirais que le Cameroun a bénéficié d’un travail de longue haleine, mené localement dans les années 1970 et 1980. Cela a amené l’équipe de 1990. Celle-ci a généré les « petits frères » de 2000, qui ont gagné les JO et donné ses lettres de noblesse au Cameroun. Depuis, le Cameroun n’a pas su s’adapter aux changements structurels du football international.