L’errance de deux agents de recouvrement dans le désert marocain sur ARTE

Désormais disponible  sur le site d’Arte le cinquième longs métrages du cinéaste marocain Faouzi Bensaïdi  propose une vision sombre d’un pays encore marqué par le tremblement de terre qui l’a frappé  le 8 septembre 2023.

DESERTS, un film  marocain de Faouzi Bensaïdi. 2013 120 Min.

Une chronique de Christian Labrande

Déserts  donc, et le pluriel est bien à prendre au mot car il renvoie au désert géographique où se déroule l’action,  mais aussi aux déserts  économiques et humains. Ils sont illustrés par les aventures  de Hamid et Mehdi,les deux personnages principaux du film, tous deux agents d’une société de recouvrement de dettes. Leur terrain d’action ce sont les villages délabrés du Sud marocain où les deux compères venus de Casablanca , doivent dénicher leurs proies.

Burlesque, mais tragique

La falaise est le premier court métrage de Faouzi Bensaïdi, réalisateur marocain qui a continué, après ce premier succès montrant déjà sa patte spéciale, avec Trajet et Le mur,
La falaise est le premier court métrage de Faouzi Bensaïdi, réalisateur marocain qui a continué, après ce premier succès montrant déjà sa patte spéciale, avec Trajet et Le mur,

Toutefois dès le début film le réalisateur a soin de nous montrer que Déserts  mêlera le burlesque  et le tragique. Le film s’ouvre sur des plans des deux héros étalant sur le sol une carte de la zone à quadriller. Las, le vent du désert emporte le précieux document et les visées stratégiques de Hamid et Mehdi qui n’ont plus qu’à compter sur eux-mêmes pour recenser les habitations où logent les familles surendettées.  Le cadre est dès lors posé : deux individus  plutôt misérables chargés de rançonner  plus misérables qu’eux. Une situation que l’on trouvait déjà dans les  courts métrages  de Charlot où Chaplin savait  savamment mêler injustice et empathie pour les déshérités.

Le film a d’ailleurs l’habilité de montrer que,  même dans un contexte de sous- développement,   l’esprit du capitalisme libéral a  imprimé sa marque de fabrique. Avant de partir en mission nos deux héros assistent à une assemblée générale de la société qui les emploie.  Réunion menée avec poigne par une présidente  de choc qui use d’ un  bilinguisme virtuose. Le français pour souligner l’enjeu stratégique : faire de chaque employé un auto entrepreneur intéressé aux bénéfices ; et la langue arabe pour réprimander d’emblée la paresse chronique de trop nombreux employés.

Soumis aux résultats,  les agents recouvreurs sont donc tout autant victimes du capitalisme que les pauvres paysans  qui , à défaut des dirhams qu’ont leurs réclament, proposent une chèvre ou un tapis….Les péripéties  qui émaillent nombre de scènes du film sont  tout  la fois grinçantes et  comiques.

Deux énormes matrones

Faouzi Bensaïdi, le réalisateur

On pense au grand romancier Driss Chraibi qui avait peint lui aussi le quotidien des Marocains (1) avec tendresse et ironie. Comme dans cet épisode où les deux agents, confronté au désert sexuel dans lequel se déroule leurs tribulations se mettent à la recherche de femmes et se voient proposer dans un hotel borgne les services de deux énormes matrones qui les laissent  sur leurs frustrations. Dans une scène qui semble sortie du crayon du dessinateur Dubout.

Avec Volubilis , son long métrage réalisé en 2017, Faouzi Bensaïdi avait déjà montré un sens puissant de la mise en scène. On retrouve cette qualité   dans la deuxième partie de Déserts où il fait une utilisation somptueuse des paysagesdu sud marocain magnifié par l’utilisation du cinémascope. Une nature avec laquelle arrivent à communier  des individus  apparemment aussi falots que nos deux pieds nickelés. 

Le désert (au singulier cette fois) est décidément une bonne  source d’inspiration pour les cinéastes : c’est également  le thème de Sirat  le très beau film (encore en salle à l’heure où nous écrivons) de Olivier Laxe  qui a, lui aussi , pour théâtre le désert du sud  marocain.

(1) Signalons notamment parmi les très nombreux livres de Driss Chraibi « Enquête au pays » (1981) ou « L’Inspecteur Ali et la C.I.A ».