Le polar camerounais qui bouscule le cinéma francophone

Sorti le 11 juin, « Indomptables » de Thomas Ngijol réinvente le polar africain dans un Yaoundé crépusculaire. Entre pression politique, trahison intime et quête de justice, ce premier long-métrage filme l’Afrique sans complaisance ni folklore. Une claque.

 

Des policiers corrompus, une justice sous pression, un héros usé mais encore debout : sur le papier, Indomptables pourrait ressembler à un polar classique. Mais ce film, écrit, réalisé et incarné par Thomas Ngijol, ne suit aucune route balisée. Tourné à Yaoundé, au Cameroun, avec une équipe essentiellement africaine, Indomptables s’impose comme une œuvre rare, tendue, audacieuse, qui bouleverse les représentations habituelles de l’Afrique dans le cinéma francophone. Ce n’est pas une carte postale, ni un manifeste. C’est un récit, brut et tendu, où chaque choix esthétique est au service d’une vérité sociale et politique.

Thomas Ngijol, qu’on connaît surtout pour ses rôles comiques en France, incarne ici le commissaire Billong, flic de quartier honnête, enfermé dans un système où l’intimidation, le clientélisme et les petits arrangements sont devenus la norme. Quand un jeune homme est retrouvé mort dans un quartier populaire, Billong s’entête à suivre la piste du crime, même si ses supérieurs lui demandent d’enterrer l’affaire. Plus il creuse, plus il découvre que la corruption est endémique, que les lignes sont brouillées, que la violence est diffuse. Et plus il est seul.

Ce qui frappe dès les premières minutes, c’est la mise en scène : nerveuse mais jamais tape-à-l’œil, portée par une caméra à l’épaule qui épouse la démarche lente et lourde du commissaire. Yaoundé n’y est pas filmée comme une capitale exotique, mais comme une ville-vérité : ses rues poussiéreuses, ses hangars, ses postes de police déglingués, ses intérieurs délavés sont autant de décors réels, palpables, sans aucun fard. Loin de la fiction tropicale aseptisée, Indomptables montre une Afrique urbaine contemporaine, entre survie et résilience, où le quotidien est un équilibre fragile entre peur et dignité.

Un casting impeccable

Ngijol, dans le rôle principal, surprend. Physiquement présent, mutique, il compose un personnage tout en tension contenue, presque anti-héroïque. Son commissaire n’est ni un sauveur, ni un justicier. C’est un homme seul, pris dans un filet de mensonges, de pressions familiales et d’hésitations morales. À ses côtés, un casting impeccable : Aline Boro, dans le rôle de son épouse, incarne la lassitude d’une femme qui ne croit plus aux promesses. Armand Fopa, jeune acteur camerounais, est bouleversant dans le rôle du petit frère idéaliste qui veut tout changer. Et les seconds rôles, souvent interprétés par des acteurs non-professionnels, apportent à chaque scène une vérité brute, comme captée sur le vif.

Le film n’est pas démonstratif. Il ne donne pas de leçons, n’assène aucun discours. Mais il dit beaucoup. Sur la solitude des justes. Sur le poids du silence. Sur la peur comme mode de gouvernance. Sur ce que signifie rester intègre dans un monde qui vous pousse à trahir. Indomptables n’est pas un film « sur » l’Afrique : c’est un film qui parle depuis l’Afrique, avec sa langue, ses rythmes, ses contradictions. Il refuse le spectaculaire pour préférer l’épaisseur du réel.

La photographie, signée par la Franco-sénégalaise Mariama Ndoye, joue des ombres et des lumières pauvres : le jour écrase, la nuit protège. Les sons, captés sur le terrain, donnent au film un grain documentaire. Chaque moto, chaque cri, chaque radio grésillante participe de cette immersion. La musique, très discrète, n’apparaît que par touches, laissant la place aux silences lourds, aux dialogues arrachés.

Sélectionné à la Quinzaine des cinéastes à Cannes 2025, Indomptables a surpris par sa radicalité formelle et sa maturité politique. Depuis sa sortie en salles en France le 11 juin, il bénéficie d’un bouche-à-oreille enthousiaste, notamment dans les quartiers populaires, les milieux associatifs, et chez les jeunes spectateurs afro-descendants. C’est un film à voir, à faire tourner, à discuter. Car il dit, sans fracas mais avec une lucidité implacable, ce que d’autres refusent encore de regarder.

Informations pratiques :
Titre : Indomptables
Réalisation : Thomas Ngijol
Durée : 1h42
Sortie en France : 11 juin 2025
Langues : français et pidgin camerounais, sous-titré
Genre : drame policier, polar social
Distribution : en salles dans les cinémas UGC, MK2, Pathé, ainsi que dans des salles indépendantes (voir Allociné ou Cinémutins pour horaires)