Deux ans après l’assassinat de Mahsa Amini, tuée par le régime iranien pour avoir mal mis son voile, la journaliste Anne-Isabelle Tollet, dans « Le voyage interdit », nous raconte de l’intérieur un pays où, malgré l’oppression, les femmes, mais aussi les hommes, refusent de baisser les bras mais où la communauté juive …soutient le régime.
Ian Hamel
Anne-Isabelle Tollet, au début de son voyage organisé en Iran, découvre que l’hôtel dispose d’un spa, avec une grande piscine, un sauna et un hammam. Elle demande donc les horaires. « Le réceptionniste me regarde comme si je lui avais demandé du saucisson en plein ramadan », écrit-elle. Il lui répond qu’en vertu de la loi islamique, la piscine comme le spa sont uniquement réservés aux hommes. En Iran, il n’y a pas que le voile obligatoire, les femmes n’ont pas le droit d’épiler leurs sourcils, de se maquiller ou de rire trop fort.
Un voyage à risque
Alors que les journalistes ne sont surtout pas les bienvenus chez les mollahs, Anne-Isabelle Tollet, grand reporter, décide de jouer les touristes innocentes. Ce n’est pas sans risque. A tout moment, les Pasdaran peuvent fouiller dans votre téléphone portable. Sans oublier le guide, fidèle serviteur du pouvoir, susceptible de vous dénoncer si vous posez trop de questions embarrassantes.
Le site du ministère des Affaires étrangères prévient que « tout visiteur français s’expose à un risque élevé d’arrestation, de détention arbitraire et de jugement inéquitable ». Un grand admirateur de la culture perse a ainsi écopé de cinq ans de prison pour « propagande et atteinte à la sécurité de l’État ». Il a été libéré en juin 2024 après 21 mois de calvaire.
80 coups de fouet
L’auteur va donc jouer la vacancière obéissante dans la journée, et clandestine dès que la nuit tombe. Grâce à ses contacts, elle découvre un pays beaucoup plus complexe que certains ne l’imaginent. Contourner les interdits reste dans l’ADN des Iraniens, malgré les risques immenses. Dans une soirée, elle découvre que l’alcool coule à flots, champagne, vodka, tequila, alors que la consommation est passible de 80 coups de fouet. Dans la rue, Anne-Isabelle Tollet fait la connaissance d’une jeune femme qui lui propose carrément d’aller, avec des copains, « taguer les panneaux d’affichage du gouvernement », avec le slogan #Masha (du nom de la Kurde iranienne de 22 ans tuée à la suite de son arrestation par la police des mœurs pour “port du voile non conforme“) et #FemmeVieLiberté. Dès le lendemain, les slogans seront effacés, « mais on recommencera, encore et encore », explique la jeune iranienne.
Des iraniens juifs soutiens du régime
« Le voyage interdit » est une passionnante plongée dans cette Perse si riche et si complexe. Le livre évoque des aspects peu connus de l’Iran, comme la ville de Yazd, le berceau du zoroastrisme, cette religion qui régnait sur le pays avant l’islam et qui, tolérée, compte encore 40 000 adeptes. Ses adeptes vénèrent le feu qui brûle non-stop depuis mille cinq cents ans dans le grand temple du feu de Yazd. Les zoroastriens sont d’ailleurs représentés au Parlement, tout comme les chrétiens et les juifs.
L’ouvrage raconte qu’au lendemain de la révolution islamique en 1979, des responsables juifs auraient versé 10 millions de dollars à l’ayatollah Khomeiny afin d’acheter leur tranquillité. Les juifs d’Iran, souvent très âgés, sont des ardents soutiens du régime. Leur unique député s’est ainsi montré très critique envers les femmes qui osaient retirer leurs voiles en affirmant que « les Américains et les sionistes étaient derrière ces manifestations ».