Le peintre camerounais Jean David Nkot à Paris: texture et douleur

Jusqu’au 21 juin, la Galerie Afikaris expose « Théâtre des corps – Drame de la matière », une plongée dense et politique dans l’univers du peintre camerounais Jean David Nkot. Une confrontation visuelle entre texture, douleur, chair et géopolitique.
Un timbre pour s'affranchir de la douleur
Un timbre pour s’affranchir de la douleur

Dans le bouillonnement artistique du 10ᵉ arrondissement parisien, une exposition capte le regard et bouleverse les sens : Théâtre des corps – Drame de la matière de Jean David Nkot, à la Galerie Afikaris, se déploie comme un manifeste pictural. L’artiste camerounais y interroge le corps contemporain dans ce qu’il a de plus fragile et de plus politique. Avec ses toiles aux dimensions imposantes, saturées de matière et de cartographies invisibles, Nkot fait de l’espace d’exposition un lieu de résistance.

Le corps humain est ici à la fois sujet et territoire. Le spectateur est happé par ces silhouettes puissamment incarnées, souvent isolées, presque anatomiques, et pourtant toujours en tension avec un contexte plus vaste, souvent géographique, parfois historique. Peintes avec minutie, elles semblent émerger d’un sol en décomposition ou d’un paysage bombardé de coordonnées géographiques, de données économiques, ou d’extraits de rapports sur l’exploitation des ressources minières africaines. Car Nkot, comme à son habitude, tisse son art autour d’une documentation rigoureuse. Ses œuvres intègrent des éléments textuels, des chiffres, des réseaux, évoquant les flux extractifs contemporains, ceux du coltan, du cobalt, du cuivre, et leur impact sur les vies humaines.

Mais ici, l’approche est encore plus introspective. Le titre même, « Théâtre des corps », annonce l’ambition : non seulement représenter les corps, mais les mettre en scène, en crise, en douleur, parfois en effondrement. Ce théâtre n’est pas celui du spectaculaire, mais celui du vécu, de l’incarné. Il s’agit du corps noir, du corps ouvrier, du corps déplacé, du corps-marchandise. Les textures épaisses, presque sculptées, trahissent cette lourdeur existentielle. L’usage du rouge, du noir et des ocres accentue le caractère dramatique de ces incarnations.

Jean David Nkot est aujourd’hui une figure essentielle de la nouvelle peinture africaine. Formé à l’Institut des Beaux-Arts de Foumban puis à Douala, son travail a depuis traversé les continents, salué pour son acuité politique et sa maîtrise plastique. À la Galerie Afikaris, il déploie toute sa maturité esthétique. Chaque œuvre est une enquête. Chaque toile exige du temps. Le spectateur est invité à ne pas regarder, mais à lire, à déchiffrer, à se confronter à une mémoire cartographiée sur la peau même des personnages.

Drame de la matière, drame du monde

Au-delà de la figuration, l’artiste travaille la superposition : de couches de peinture, de matières, mais aussi de significations. Les corps ne sont jamais seuls. Ils sont traversés par les lignes du capitalisme global, de l’extraction, de la migration, de l’effondrement. Ils sont à la fois blessés et debout. Ce drame de la matière est donc aussi un drame du monde

La Galerie Afikaris, installée rue de Paradis, confirme avec cette exposition son rôle pionnier dans la reconnaissance de la scène contemporaine africaine. Depuis sa création, l’espace défend un art qui ne sépare jamais esthétique et engagement. Avec « Théâtre des corps », elle offre une immersion rare dans une œuvre qui pense l’Afrique à hauteur d’hommes et de blessures. On y entre pour voir des tableaux, on en sort avec une conscience aiguë de ce que l’image peut porter d’histoire et d’espérance.

Les amateurs d’art, les curieux, les passionnés de questions postcoloniales ou géopolitiques y trouveront un espace de réflexion, mais aussi d’émotion brute. Car malgré la gravité des sujets, le travail de Nkot n’est jamais désespéré. Il est habité par une tension vitale, une lumière qui affleure, une volonté de raconter, encore et toujours, l’humain dans ce qu’il a de plus vrai.

Informations pratiques :

Exposition : Théâtre des corps – Drame de la matière
Artiste : Jean David Nkot
Dates : jusqu’au 21 juin 2025
Lieu : Galerie Afikaris – Espace Annie Kadji
Adresse : 17 rue de Paradis, 75010 Paris
 Horaires : du mardi au samedi, 11h–19h
Entrée libre
Plus d’infos : www.afikaris.com