Chanteuse et percussionniste, l’iconique Hajja El Hamdaouia est décédée à l’hôpital Cheikh Zayd de Rabat à l’âge de 91 ans. Hommage en 5 chansons emblématiques.
Née en 1930 à Derb Sultan, un quartier pauvre de Casablanca, El Hajja Hamdaouia commence sa carrière très jeune, classiquement en animant les fêtes de mariage ou des « moussems »(processions religieuses).
Très vite l’artiste autodidacte s’émancipe des orchestres féminins pour fêtes. Elle enregistre des disques, se montre à la télévision et se produit dans des salles du pays. Elle chante sans jamais lâcher son fétiche Bendir (percussion maghrébine), quitte, au fil des décennies, à introduire dans son groupe des musiciens venus d’horizons divers ( saxophonistes, guitaristes, vilonistes).
« La chanteuse des trois Rois »
La diva casablancaise aura dépoussiéré puis révolutionné le genre musical « Aïyta » qui signifie en darija, arabe dialectal maghrébin, « cri » ou « appel ». Le ton strident employé par les chanteurs et les chanteuses du genre, les cheikhs et les chikhates comme on dit respectueusement, rappelle que ce style musical remonte au début du 19ème siècle, quand les troubadours marocains transmettaient les nouvelles importantes dans les chansons qu’ils colportaient avec leurs troupes de village en village.
La Cheikha El Hajja Hamdaouia a su adapter ce blues des plaines côtières de Casablanca aux modes passagères, soignant ses paroles explicites, crus et poétiques, pour prouver à ses compatriotes qu’elle pouvait tenir le tempo et la cadence face à la concurrence des chanteuses de raï de l’Algérie voisine, telle la grande Cheikha Remitti.
1- La chanteuse visionnaire.
En août 2020, et entre deux confinements, la légendaire et infatigable Hajja Hamdaouiya donne une conférence de presse pour annoncer son retraite bien méritée: « A 90 ans, il est temps pour moi de me retirer de la scène musicale et de laisser la place aux jeunes» avait-elle déclaré. Les journalistes marocains étaient nombreux à venir couvrir la conférence de « La chanteuse des trois Rois », comme ils aiment l’appeler – allusion à sa longue carrière -du roi Mohamed 5 à l’actuel Mohamed 6 en passant par Hassan 2.
Ils étaient nombreux également parce qu’une des vieilles chansons de Hajja Hamdaouiya, « ila khyabet daba tzyane », enregistrée au début des années 80 a connu une seconde vie pendant le 1er confinement au Maroc. Traduction du titre de la chanson: « Ce qui s’est dégradé bientôt va s’arranger », on comprend qu’il n’y avait pas mieux comme hymne pour tenir le coup ! Son plus grand succès, Dabya Yji ( Il va venir) est connu par des générations de marocains et d’Algériens.
2- L’artiste militante.
Activiste nationaliste dans les années 50, la jeune Hajja Hamdaouiya cachait les armes des indépendantistes marocains dans ses baluchons de musicienne. Elle a même enregistré une chanson à peine cryptée pour dénoncer l’ingérence du colonisateur français qui vient de déposer le roi Mohammed V en faveur du vieux Ben Arafa -qu’elle traite de tous les noms d’oiseaux. Elle passera quelques jours en prison avant d’être libérée.
3- La féministe femme fatale
Hajja Hamdaouiya connaîtra l’exil à Paris, perfectionne son art dans les cabarets orientais du Quartier latin, notamment après du grand Salim Hellal, avant de revenir au Maroc enfin indépendant et renouer avec les salles de Casablanca. Féministe elle chantera les premières chansons d’amour et de désirs exprimés par les femmes, ce qui ne l’empêche pas d’assassiner un mari aussi volage que violent et de retourner à la case prison pour un an.
4- La musicienne humaniste
A la 15ème édition du festival des Andalousies Atlantiques d’Essaouira, Hajja Hamdaouiya partage la scène avec Raymonde El Bidaouia, une autre icône de la chanson marocaine. Une musulmane et une juive sur scène et dans la ville portuaire où les deux communautés ont vécu en paix avant que le conflit israélo-palestinien ne vienne les séparer.
5-. La mamie généreuse.
Lors de l’annonce de son retrait de la scène musicale en août 2020, Hajja Hamdaouia a annoncé qu’elle offre l’ensemble de ses chansons à la jeune et blonde Xena Aouita « Mon patrimoine est ainsi entre les bonnes mains d’une jeune qui a, à peine 20 ans, et qui m’aime depuis son très jeune âge. J’ai donc décidé de lui offrir mes chansons pour être mon successeur. Elle peut d’ailleurs interpréter mes chansons en anglais ou toute autre langue», avait déclaré Hamdaouia, après sa participation à un duo avec Xena. La généreuse chanteuse sera inhumée au cimetière Achouhada à Casablanca.