Jusqu’au 15 octobre 2022, la galerie Huberty & Breyne présente les œuvres de Didier Viodé. Après des expositions en France, en Espagne, à New York et à la Biennale de Dakar, c’est à Paris que l’artiste dévoile trois nouvelles séries de peintures et les planches au lavis de son album Étranger sans rendez-vous.
Quand on entre dans la galerie Huberty & Breyne, on est saisi par une suite de fragments d’autoportraits, que le smartphone a dorénavant rebaptisé selfies. D’emblée la peinture vous indique les deux voies qu’elle a décidé de questionner: le fragment et la réserve.
L’exposition présente trois séries peintes en 2022: « Fragments » composée d’autoportraits, des corps d’athlètes dans « Run », et « Nature », quelques paysages inspirés du dernier voyage de l’artiste au Sénégal et en Côte d’Ivoire. En regard de ces peintures, une sélection de pages au lavis de son album Étranger sans Rendez-vous qui datent de 2012 complète l’exposition.
Paysages
La série des paysages est particulièrement saisissante. Les deux toiles exposées sont de dimension modeste, 97 x 130 cm. Elles présentent deux vues larges de nature: la mer, la ligne d’horizon, les nuages, les rochers. Aucun effet de recherche de composition particulière. Tout se joue dans la recherche d’une nuance si particulière de bleu: un bleu pâle, poussiéreux – comme le ciel de Dakar – qui porte en lui le brouillard et la nostalgie. Didier Viodé esquisse au fusain sa toile, puis délimite des tranches de paysage. Il laisse des réserves blanches qu’il retravaille ensuite avec douceur. Superpose des couches qui insufflent un volume nouveau, souvent minéral.
Le tableau « La Nature 2 » est la description de quelques rochers au milieu des vagues. Didier Viodé a une façon bien à lui de travailler la peinture acrylique comme s’il s’agissait d’aquarelle. Il donne à ces rochers un sfumato étonnant, rehaussé encore par une matière brillante, qu’il adjoint sans doute à l’acrylique, pour prolonger cet effet de lumière qui vient et dissout les formes sous le soleil.
A de très rares moments, on trouve un empattement, qui introduit un moment suspendu dans la toile. On regarde, rien ne se passe, puis un éclair surgit, là.
Ce détail ci-dessus se trouve dans un toile (« Selfie nature ») à côté de « La Nature 4 ». Ce tableau est sans doute la grande réussite de cette exposition, car l’artiste parvient à combiner cette recherche de mouvement exprimé dans la série « Run » et ce sentiment de méditation contenu dans les paysages et les autoportraits.
Le détail ci-dessous montre bien ce travail pictural « cloisonné », ensemble par ensemble.
On y retrouve aussi ce bleu si singulier qu’il utilise dans ses deux paysages. Un bleu, chargé de gris, et rehaussé de rouge pour nous donner cette nuance chaude dans quelques éclats mauves.
Cette toile combine le tumulte avec l’assise du personnage.
La figure est plantée fermement dans le paysage. Elle semble lui résister, indifférente au brouhaha des vagues et à l’agitation du soleil qui fait vibrer les formes naturelles autour de lui.
On ressent dans cette figure toute l’énergie que l’artiste a dû déployer pour rester debout, suite aux aléas survenus dans son pays en 2004, qui l’ont obligé de quitter la Côte d’ivoire pour la France, et Besançon, où il demeure aujourd’hui. Son arrivée en France est décrite dans les planches au lavis exposées dans la galerie.
Étranger sans rendez-vous.
Didier Viodé maîtrise la peinture, mais aussi la photographie, la vidéo et la bande dessinée. Ce sont sans doute ces pratiques diverses de l’image qui insufflent aujourd’hui dans sa peinture ce sens du cadrage et du récit.
« Étranger sans rendez-vous » est un album édité par l’artiste en 2011. Il relate d’une façon crue, son arrivée en France. Une petite note historique rappelle le contexte : « Novembre 2004. 9 soldats français sont tués lors d’un bombardement par l’aviation ivoirienne. La France riposte en détruisant au sol les moyens aériens du gouvernement Gbagbo. Abidjan s’embrase… Paris décide d’évacuer ses ressortissants. Ceux qui le peuvent décident de partir. »
La rencontre brutale avec ce monde trop pressé, effrayé par l’inconnu. Il est assez touchant d’observer, au gré des planches, le narrateur perdre son visage. Il se dissout par moments, semble perdre consistance. De planche en planche, son visage se reforme puis disparaît.
Le récit est éclairé par la rencontre avec une jeune femme qui l’invite à prendre un café et qui a séjourné trois mois à Abidjan, avant les émeutes. L’ouvrage se termine ensuite par une lettre postée à ses parents, dans laquelle il s’inquiète du sort de son pays.
Voici une belle exposition, même si, comme souvent, l’artiste a peut-être voulu montrer toutes les palettes de son art. Ce qui est inutile. L’exposition aurait gagné en force plastique si l’artiste s’était concentré sur cette petite musique intérieure qui lui appartient et qu’il exprime si bien dans ses paysages de nature. Mais c’est un détail. Si vous le pouvez, aller voir cette exposition ouverte jusqu’au 15 octobre.
Biographie
Didier Viodé est né en 1979 en Côte d’Ivoire de parents originaires du Bénin. Il est peintre, photographe, vidéaste et dessinateur. Il travaille et vit actuellement en France. Il a été formé à l’Institut national supérieur de l’art d’Abidjan, en Côte d’Ivoire, puis aux Beaux-Arts de Besançon, en France.
Voir une interview de Didier Viodé en 2021à l’occasion de son exposition à la galerie Foreign Agent à Lausanne.
Voir la liste de ces expositions sur le site de la Galerie Foreign Agent.
Renseignements
Galerie Huberty & Breyne
36 avenue Matignon
75008 Paris
+33 (0)1 40 28 04 71
contact@hubertybreyne.com
Lundi > Samedi 11h-19h
Du 8 septembre au 15 octobre 2022.