Trois ans de travail, quatre tournages, des dizaines d’interviews recueillis éclairent de façon inédite la crise sans fin dans laquelle s’enfonce le Mali depuis 2012. L’objectif en effet d’Olivier Jobard et de Nathalie Prévost, les deux réalisateurs qui ont réalisé ce documentaire -« la guerre perdue contre le terrorisme »- est de donner la parole à ces Maliens confinés s à des silhouettes muettes aux côtés de militaires français en opération.
Un film sur France 5 à 20H55 dimanche prochain
Tourné en 2022, au paroxysme de la crise entre Paris et Bamako, le film revient sur la dégradation de la relation entre les deux pays. Mais le regard porté sur l’effort de guerre fourni par la France depuis 2012 est celui des Maliens eux mêmes; les grands oubliés des journalistes français « embarqués par le contingent français. Les deux réalisateurs qui ont sillonné le pays durant toute l’année 2022 en prenant des grands risques pour leur sécurité sont partis au contact de la population malienne, toutes catégories confondues. Sans oublier pour autant les soldats français dont le courage aura été admirable mais qui ont été envoyés dans un pays dont ils ignoraient tout au nom de la lutte contre le terrorisme!
L’exaspération anti française
Toujours pédagogique mais sans en appeler à ces experts bavard, répétitifs et souvent très éloignés des réalités populaires, le film propose une histoire du conflit, déclenché par les rebelles touareg revenus de Libye fin 2011 à la faveur de la chute du colonel Kadhafi sous les bombes de l’OTAN. Alors qu’ils croient pouvoir enfin arracher l’indépendance de leur pays, l’Azawad – qui représente les 2/3 du Mali – ils se font rapidement submerger par les djihadistes d’Al Qaida, arrivés d’Algérie dix ans plus tôt. Pendant neuf mois, le nord du Mali vit sous la férule des islamistes, que l’intervention de la France, en janvier 2013, va dans un premeir temps contenir mais sans trouver les moyens d’arrête,plus tard, la reprise de leur progression/.
Dix ans plus tard, les groupes armés djihadistes occupent d’immenses espaces dans le centre et le nord du Mali, malgré presque dix ans de présence ininterrompue de la France à travers les opérations Serval puis Barkhane.
Pourquoi cet échec militaire, malgré les quelques 3000 terroristes tués par l’armée française ? Les officiers français interviewés dans le film juste avant d’être renvoyés dans leurs foyers par le gouvernement de Bamako peinent à le dire. La caméra les montre en patrouille ou en opération civilo-militaire, près des camps de Gao et de Gossi, déconnectés des réalités maliennes. Les effectifs dérisoires de la force militaire– 5000 hommes sur cinq pays équivalent à 10 fois la France –, le manque de clarté des buts de guerre, le décalage entre le mandat de Paris et les agendas des belligérants et la durée de l’opération se sont cumulés. Jusqu’à susciter l’exaspération des Maliens
Les fractures maliennes.
Bien que s’ouvrant sur cet épisode franco-malien, le film le délaisse ensuite pour explorer les dynamiques purement maliennes du conflit. À Mopti, Tombouctou, Kidal et Gao, on découvre de vieilles rancoeurs, des rivalités anciennes entre voisins éleveurs et agriculteurs, des tensions entre la périphérie et le centre politique, des frustrations sociales entre nobles et descendants d’esclaves, un désenchantement politique, bref un cocktail mortel.
On devine aussi l’impatience de la jeunesse – un Malien sur 2 a moins de 15 ans – éternelle cadette sociale. Avec une moto, une kalach et un peu d’argent, les djihadistes séduisent facilement de jeunes hommes en quête de position sociale et d’aventure.
L’Etat malien, qui ne parvient pas à faire nation, est critiqué partout dans ces régions pour son incapacité à fournir les services de base, sa corruption systémique et sa brutalité. Il est chanté, pendant ce temps-là, à Bamako et à Kati, la ville-garnison du Mali, où les jeunes se roulent dans le drapeau malien, très loin du front, en rêvant de la revanche à venir sur les bandits, les rebelles et les djihadistes. En attendant ces lendemains qui chantent, le départ de l’ancienne puissance coloniale les enivre de fierté.
Dans ce contexte de crises enchevêtrées, comment une opération militaire pourrait-elle, seule, ramener la paix ? Les brutalités commises par les milices d’auto-défense encouragées par le pouvoir malien à Bamako, en pays touareg puis en pays peul, ont cédé la place, depuis le durcissement du régime, à des brutalités de l’armée malienne, encouragée par son nouvel allié, les mercenaires russes du groupe Wagner.
L’Islam, un trait d’union.
Malgré la profondeur du ressentiment, le film s’achève sur une note d’espoir. Que les Maliens reprennent le dialogue interrompu pour renouer les fils du vivre-ensemble ancestral qui a permis à tous ces peuples de cohabiter. Le fameux imam Mahmoud Dicko, une des rares personnalités capables de réunir des foules entières en appelle à un sursaut et suggère que l’Islam, fidèle à sa tradition mais ouvert sur le monde, pourrait être le trait d’union entre tous les Maliens.
Ce message partagé par beaucoup de maliens dont les enfants sont majoritairement éduqués dans des écoles coraniques, l’opinion publique française est-elle capable de l’entendre? Rien n’est moins sur tant la France de 2023, classe politique et médiatique comprise, a tendance à confondre Islam et terrorisme, sans jamais chercher à comprendre la vision malienne et africaine de la démocratie et de la gouvernance.
Espérons que le débat qui aura lieu, dimanche soir, après la projection du documentaire, permettra au public français de mieux comprendre les raisons profondes de l’échec de l’armée française. Les militaires d’un Mali plus ancien que l’Histoire n’ont pas « dégagé la France avec un grand coup de pied aux fesses », pour reprendre les mots méprisants de Youness Bousenna, journaliste du magazine français « Télérama »(24/05/23). « De la reconnaissance à la haine, écrit-il en caricaturant les positions du pouvoir malien, comment comprendre un tel renversement (…)? ».
Apparemment, ce critique n’a rien compris au propos de ce film équilibré! .