L’actrice franco-palestinienne Hiam Abbas sur les lieux de son enfance

Il y a une quarantaine d’années, la célèbre actrice Hiam Abbas a quitté sa terre natale -Deir Hanna, près du lac Tibériade)-pour échapper à l’emprise familiale, aux tensions du conflit israélo-palestinien mais surtout pour tenter sa chance en Europe et réaliser son rêve, une carrière dans le cinéma. Avec l’une de ses filles (caméra au poing), Hiam Abbas revient sur les lieux de son enfance, retrouve ses sœurs et son pays meurtri.

Une chronnique de Sandra Joxe sur un documentaire de Lina Soualem, 83 minutes, visible en replay sur Arte jusqu’au 05/11/2025

L’actrice franco israélienne Hiam Abbass, qui incarnait la mère de Malik Oussekine dans la série de Disney+, a joué également dans « Succession », la femme d’un patriarche surpuissant et roi des medias dontles enfants se disputent l’héritage

« Bye Bye Tibériade », c’est ce que s’est dit Hiam Abbass, le jour où elle s’est envolée vers l’Europe pour y vivre sa vie, épouser un comédien anglais, en bravant l’interdit paternel. Un exil douloureux mais volontaire, contrairement à celui qui avait été imposé en 1948 à sa grand-mère et à sa mère, chassées de leur village lors de la Nakba : la «catastrophe» que constitue pour les Palestiniens la création d’Israël en 1948.

Son choix audacieux a été couronné de succès puisque Hiam Abba s a mené (et mène toujours) une belle carrière. Elle a notamment joué dans La fiancée syrienne (Eran Riklis, 2004) Munich (Steven Spielberg, 2005), Paradise now (Hany Abou Assad, 2005) et la série américaine Succession.

Lina Soualem explore les mémoires familiales

Dans Leur Algérie, un documentaire sur la famille de son père – le comédien Zinedine Soualem – la réalisatrice avait déjà su capter avec tact les souvenirs de sa famille paternelle. Son film parvenait habilement à conjuguer des confidences intimes et de beaux portraits (notamment de sa grand-mère Aïcha) avec une contextualisation historico-politique. Elle a récidivé du côté maternel en proposant à sa mère un retour sur sa terre natale.

Une aventure à la fois éprouvante et réparatrice, de l’avis même de la mère comme de la fille.« Née de la rupture entre deux mondes », dixit la réalisatrice née en France, la jeune femme entraîne sa mère dans un voyage sur les lieux perdus de son enfance, près du lac de Tibériade : un pèlerinage qui suscite beaucoup d’émotion, des pleurs mais aussi des rires.Quant à la mère, elle confie avoir vécu ce projet comme une véritable catharsis, lui permettant de raviver les traumatismes enfouis mais aussi de, sinon s’en débarrasser, au moins s’en libérer.

Car le documentaire «ouvre les douleurs du passé» pour éclairer les choix de vie difficiles de Hiam Abbass et, avant elle de la lignée de toutes les femmes de sa famille au destin particulièrement bouleversé depuis Nakba qui a causé leur exil et  leurs errances.

En effet, Hiam Abbass est née dans un village arabe de Galilée intégré au territoire israélien, mais sa famille venait de Tibériade, une ville au bord du lac aux eaux bleue turquoise… dont la population palestinienne a été expulsée.

Une scène révèle que leur maison, près de la grande mosquée qui subsiste, a été rasée en même temps que le reste de la vieille ville.

Quatre générations de « femmes puissantes »

Des femmes toutes marquées par le déracinement

Revenir à Deir Hanna, c’est pour le tandem mère-fille l’occasion de s’intéresser à toutes les figures féminines de la lignée,  toutes emblématiques des femmes palestiniennes de Galilée :  toutes marquées par le déracinement.

Il y a Um Ali, l’arrière-grand-mère, au visage austère dont les photos retrouvées révèlent la force de caractère.  Une maitresse femme, expulsée de son village natal juste après son mariage, un mari mort de chagrin et huit enfants à nourrir « avec une machine à coudre ». Elle a tenu bon puisque l’une de ses filles, Nemat –  grand-mère de Lina et mère de Hiam – est devenue institutrice, malgré les  difficultés causées par la guerre. Ces figures féminines toutes défuntes, sont ressuscitées grâce aux photos dénichées dans des boites poussiéreuses de la maison maternelle… qu’il faut se résoudre à vendre. Mais le documentaire a le mérite d ene pas se contenter des films de famille et n’hésite pas à avoir recours à des archives plus générales, ce qui lui donne une résonnance universelle.

A travers ce retour aux sources d’une exilée palestinienne qui « s’en est bien sortie » malgré les blessures, c’est tout une histoire qui affleure : celle d’une communauté malmenée,  de ses espoirs, de ses peines, de ses liens persistants makgré la dispersion et l’éloignement ( une tante en Syrie, d’autres au Canada ou en Europe) grâce aux lettres, au téléphone ou … plus récemment à internet !

C’est l’histoire de quelques femmes mais c’est aussi l’histoire de leurs lieux, disparus, remplacés ou sous contrôle, et celle de leur peuple, opprimé.

L’intime et le politique

Le rapport entre la mère (l’actrice) et la fille (a réalisatrice) au coeur de ce film magnifique

Au fil des questions , le film met en lumière l’immense énergie de toutes ces femmes (les hommes – grands absents de ce documentaire délibérément «  féminin » – sont assez fantomatiques à l’image)  tout un parcours : : celui d’une femme qui a déployé toute son énergie (et celle héritée de s des aïeules) pour s’émanciper de la tradition patriarcale et assumer son choix de liberté : « J’étouffais, j’avais besoin de respirer, de me trouver », confie Hiam Abbas.

Le tout est illustré de façon originale : des témoignages et des archives, comme il se doit, mais aussi des poèmes lus (et écrits) par la comédienne ou des scènes (re)jouées,  notamment avec ses sœurs qu’elle retrouve avec joie.

C’est le mérite de ce film que de ne pas s’installer dans la nostalgie et plusieurs scènes véhiculent de la joie, de l’amour et de l’humour, notment lors des retrouvailles entre sœurs. Hiam Abbas et ses sœurs, évoquent des souvenirs enfouis et reconstituent ainsi le puzzle de leurs vies mouvementées.

Une belle complicité féminine  – mères, filles et sœurs – émane du récit et semble conférer à ces différentes personnalités heurtées par la vie… une force indestructible.   

Ces relations de solidarité, ces souvenirs partagés exhumés ou enfouis tissent un paysage affectif et politique  passionnant. A l’écoute de (toutes) les femmes de sa famille à travers la vie et la mort, leurs traumas, leurs joies, leurs deuils, leurs zones d’ombre, la jeune réalisatrice de 24 ans leur rend un hommage vibrant.

De Tibériade à Gaza…

Le lac de Tiberiade

Le film, sorti en salles peu après le 7 octobre, déploie toute sa dimension politique : «Les histoires racontées par ces femmes dans ce film ne sont pas seulement des histoires de transmission de femme à femme, de fille à mère ou de mère à fille», déclare Lina Soualem. Elles« véhiculent une histoire de personnes privées de leur identité».

Et d’ajouter : «Avec nos histoires, nous luttons contre l’effacement et ces images se présentent comme des preuves d’une existence niée», insistant sur sa pensée solidaire pour « tous habitants de Gaza qui sont en réalité des enfants et petits-enfants de réfugiés palestiniens, qui comme vous et moi, essayent de trouver leur place dans le monde».