Cet artiste singulier qui connait un succès considérable au Musée d’Art Moderne à Paris où il est exposé cet hiver, avait vingt trois ans quand il découvre le Maroc où il voyage de 1936 à 1937. Le peintre voyageur connait une folle passion amoureuse, croque des dessins sur le vif et rédige un carnet de route inachevé. « Cet oeil qui perçoit déjà toutes les profondeurs de la lumière », comme l’exprimera Marie du Bouchet, la coordinatrice du comité Nicolas de Staël, dans la préface d’un livre consacré à cette échappée belle au Maroc (1).
Le voyage au Maroc de Nicolas de Staël alors âgé de vingt trois ans et dont il ne reste que très peu de toiles, à l’exception des portraits de sa belle amie, a resurgi au fond d’une malle égarée au fond de la campagne bruxelloise où avaient été livrées à l’oubli quarante pages manuscrites, à l’encre noire et violette, sur le Maroc, la peinture, les cafés maures, les bergers, le Christ, le Ramadan ou encore Descartes, Renab, Saint-Augustin ou Tagore.
Le « cahier » du peintre s’ouvre sur un mot, un seul: « Clarté ». « On apprend à voir les couleurs ici, confie Nicolas de Staël dans une des lettres envoyées à ses proches qui sont baptisées « Cahier du Maroc ».
Depuis le voyage de Delacroix au Maroc en 1832, les peintres ont été nombreux, après l’Italie, à se tourner vers le Maroc: Matisse, Marquet et combien d’autres ! Ce voyage initiatique de l’été 1936 à l’automne 1937 sera sans doute le socle sur lequel un Nicolas de Staël encore très jeune va bâtir sa vocation de peintre. « Je travaille sans cesse et je crois plutôt que la flamme augmente chaque jour et j’espère bien mourir avant qu’elle ne baisse ». C’est ainsi qu’il « construit son bateau », c’est à dire qu’il définit, comme l’a écrit Marie du Bouchet, « sa vision, le sens qu »il donnera à la couleur et à l’acte de peintre ». De son propre aveu, Nicolas peint « comme on écrase du raisin »!
Double coup de foudre
C’est dans un café de Place Djema à Marrakech qu’il rencontre la femme qu’il va épouser, Jeannine Guillou. Nicolas cherche de la terre pour modeler, Jeannine l’emmène chez elle. Ils ne se quitteront plus.
À Marrakech, Fès ou Télouet, Nicolas de Staël s’éprend de la population berbère, s’éprend de « leur grâce naturelle », leurs habits bleus qui « semblent faire partie du ciel ». La palette du peintre est toute entière dans ces mots qui se bousculent… sur la toile: « un arbre vert, un autre arbre vert, l’écorce argent »; « la clarté des neiges »; « le soir orange »; « l’herbe de feu ». »Hallucinant, le paysage calme fuit. Les bergers sortent des tentes, saluent et s’effacent. L’aube sur les fumées d’Aït Ourir. Un pâtre somnolent s’en va vers les sentiers… »
La lumière, la musique et l’écriture jaillissent du même puits de lumière. Le rêve, la foi, les rituels et la rue marocaine nourrissent son imaginaire. »Dehors, une jeune femme arabe joue de la flûte au son cassé, musique très simple, musique banale. Banale comme la vie, comme la mort ».
La vie, la mort, la question, comme il l’écrit, du sens de la présence « de l’Homme sur terre » et la révélation de « la clarté » du Sud méditerranéen qu’il retrouvera plus tard avec bonheur à Marseille, dans le Lubéron ou encore à Antibes où il termine tragiquement son existence, à quarante et un an, en se jetant du toit-terrasse de son atelier face à la mer.
(1) « Nicolas de Staël, le voyage au Maroc », éditions arléa.