Ce film sur « la liberté de devenir ce qu’on est, quelque soit notre origine, notre religion » est signé Yolande Zauberman et présenté au festival de Cannes 2024. « La belle de Gaza » est une enquête sensible et superbement filmée sur les pas d’une femme transgenre, légende vivante sous son hidjab de perles. La problématique du conflit israélo-palestinien, du choc des cultures, des espoirs fracassés est discrètement présente dans des images empreintes de pudeur et de tolérance.
Une chronique de Sandra Joxe
Yolande Zauberman avait remporté en 2020 le César du meilleur documentaire avec « M » le portrait bouleversant de Menahem, un jeune chanteur israélien victime de pédophilie au sein de sa communauté ultra-orthodoxe.
En 2012, la cinéaste avait déjà réalisé le très remarqué « Would you have sex with an arab ? » tourné aux abords des boîtes de nuit de Tel-Aviv ou dans les ruelles de Jérusalem, dans lequel elle osait poser la question sans détours : « Et vous, vous feriez l’amour avec un arabe ?»
Aujourd’hui elle poursuit son enquête sur les « marges » et la face cachée de la société israélienne avec « La Belle de Gaza », une enquête sensible et superbement filmée sur les pas d’une femme transgenre aperçue lors de son précédent tournage dans les rues de Tel Aviv et à propos de qui la rumeur dit qu’elle aurait fuit Gaza et serait arrivée en Israël… à pied.
Caméra au poing
Tel Aviv serait une terre promise pour des personnalités en rupture de ban? La réalité se révèle bien plus compliquée. La réalisatrice que de ne tombe jamais dans le piège du film à message. Caméra au poing, Zauberman arpente les rues de Tel Aviv, ou plutôt ses « bas fonds » en particulier la rue Hatnufa – discothèques déglingues, café borderline et autres lieux de prostitution – à la recherche de « La Belle de Gaza ».
Le fil rouge c’est donc, comme le titre du film l’indique, la recherche de cette femme trans entraperçue des années plus tôt : dans le quartier des prostituées : tout ce petit monde l’a croisé un jour où l’autre, personne ne sait où elle se cache.
La réalisatrice finira par la retrouver, et par la filmer, au terme d’une passionnante itinérance dans la ville nocturne : l’occasion de proposer toute une galerie de personnages trans qui impressionnent par leur mélange de courage, de souffrance, d’ironie et de désespoir. Un jeune garçon devenu femmes se livre à la réalisatrice : il a quitté fit les territoires, la répression, les viols, voire les malédictions familiales, espérant trouver de l’autre coté de la frontière, un havre de paix et de sécurité. Mais il/elle s’est fait reconnaître sur Tik Tok, kidnapper et punir par des hommes venus des territoires : « je regrette qu’ils ne t’aient pas tué » lui aurait dit sa mère.
Une autre femme, Israela, opérée et heureuse de l’être, plus âgée, issue des milieux orthodoxes, confie avoir été mariée à un rabbin… qui n’aurait jamais réalisé qu’elle était trans ! Confusion des genres…
La violence des intégristes
On songe à « Yentl », le superbe film réalisé et interprété par Barbara Streisand sur cette jeune femme qui, afin de pouvoir devenir rabbin… se fait passer pour un homme ! Et se marie…
Debout dans la rue, au coin d’une ruelle ou d’une alcôve, évitant les phares agressifs des voitures des femmes trans se livrent : Nathalie, Danielle, Nadine, évoquent le rejet de leurs familles, les agressions sexuelles sur l’adolescent efféminé qu’elles /ils étaient, la violence des intégristes…
La réalisatrice a le tact nécessaire pour les filmer sans les effrayer, elle sait trouver la bonne distance avec sa caméra, laisser planer des silences quand les mots sont impossibles. La pudeur est de part et d’autres de l’objectif et ces précautions portent leur fruits : les langues se délient, les regards se détendent, les corps parlent d’eux même et les témoignages frappent par leur sincérité.
Loin des stéréotypes
De cette ribambelles de créatures rebelles et marginales, écorchées vives et tournoyant dans la ville comme des oiseaux de nuits blessés, trop maquillés, trop souriantes pour ne pas masquer une immense douleur, mais toujours soucieuses de leurs droits et de leur dignité, émane un sentiment de solidarité indéfectible.
Les trajectoires sont très différentes les unes des autres et c’est le mérite du film que de faire sentir au spectateur cette variété des caractères, des désirs, des rapports au corps, de ne pas enfermer la femme trans dans un stéréotype.
La réalisatrice, en s’attachant ainsi à diverses personnalités, révèle à quel point il est impossible de dresser un portrait robot et caricatural de « la femme trans » : chacune a son histoire personnelle, ses convictions religieuses, son rapport particulier à son corps et à la sexualité, : certaines sont opérées, d’autres attendent de l’être mais il y a aussi celles qui ne veulent surtout pas en passer par le bistouri. Néanmoins, toutes partagent l’espoir de pouvoir vivre – à Tel Aviv ou ailleurs – leur choix de genre sans risquer la persécution.
Et c’est ainsi que lentement, au fil d’un parcours visuel et sonore tout en finesse, Yolande Zauberman parvient au terme de sa quête poétique et surnaturelle dans un Tel Aviv filmé sous ce « jour » ou plutôt sous cette nuit. Et on retrouve « La Belle de Gaza », femme-fantome, légende vivante méconnaissable sous son hijab de perles.
La Belle étonnée, qui finit par « se reconnaître » sur la photo que lui tend la réalisatrice : « Je le jure, c’est moi ! » affirme-t-elle d’une voix évasive. Peu importe le fin mot de l’histoire, la quête de vérité semble infinie et le très beau film de Yolande Zauberman s’achève sur une interrogation.
Liberté et tensions
La post-production de « La Belle de Gaza » a été achevée en ce fatidique 7 octobre 2023 auquel le film ne fait donc pas directement allusion. Zauberman sait dénicher les poches de résistance… et d’espoir. Elle a le don de faire se délier les langues, de mettre les protagonistes qu’elle film en relative confiance et de recueillir leur paroles de vérité dans un contexte hyper-tendu, dont elle capte la violence à tous les coins de rue.
Son film rend bien compte du curieux mélange de relative liberté et d’extrême tension qui règne dans la société israélienne contemporaine.En filigrane, il invite les spectateurs à s’interroger sur la nécessité de la tolérance : tolérance politique, tolérance religieuse, tolérance sexuelle, tolérance tout court
Laissons le mot de la fin à un autre personnage-clé du film : la fameuse Tallin Abu Hanna, , mannequin et chanteuse d’origine palestinienne bien connue du public parce que « Miss Trans Israel » en 2016, à qui une journaliste a demandé ce qu’elle avait à dire après le massacre du 7 ocrtobre …
« Si j’ai réussi à faire la paix entre mon corps et mon âme, si j’ai réussi à faire la paix entre le fait d’être arabe et de vivre ici, c’est que la paix est possible ».
Sandra JOXE