Jusqu’à fin avril, le Musée Mohammed VI à Rabat accueille « A Maze of Power », une exposition magistrale de Kehinde Wiley. Cet ’extraordinaire transgresseur des règles du monde de l’art, se saisit de la portraiture classique à l’ancienne et lui donnee une transformation ultra-moderne super cool. Nous parlons de portraits énormes, audacieux et percutants comme ceux de chefs d’État africains qui interrogent, détournent et réinventent les codes de la représentation politique.
Au cœur du Musée Mohammed VI d’Art Moderne et Contemporain, à Rabat, les murs semblent vibrer sous le poids d’une présence singulière : celle des chefs d’État africains, figés dans une majesté troublante, regard fixe, port altier, costumes taillés sur mesure, trônant au sein de compositions baroques éclatantes. L’exposition « A Maze of Power » de Kehinde Wiley, en cours jusqu’à la fin avril 2025, offre bien plus qu’un face-à-face avec le pouvoir. Elle met en scène une galerie d’images où se croisent histoire coloniale, iconographie royale européenne et identité africaine contemporaine, dans un ballet visuel aussi somptueux qu’inconfortable.
Kehinde Wiley, artiste américain de renom international, est surtout connu pour avoir réalisé le portrait officiel de Barack Obama en 2018. Mais son œuvre va bien au-delà. Depuis plus de vingt ans, il interroge les formes de représentation du pouvoir, en particulier celles qui ont longtemps exclu les corps noirs des récits dominants. Son geste artistique, profondément politique, consiste à réinvestir les codes visuels de la peinture occidentale — portraits d’apparat, décors floraux, poses théâtrales, drapés opulents — pour y inscrire des figures noires, anonymes ou célèbres, qui revendiquent une place dans l’histoire de l’art et dans l’imaginaire collectif.
Avec « A Maze of Power », Wiley pousse encore plus loin cette entreprise de renversement symbolique. Il y présente une série inédite de portraits de dirigeants africains contemporains, réalisés au terme d’un long travail de recherche, de rencontres et de mises en scène. Chaque chef d’État a été invité à choisir sa posture, son cadre, sa symbolique. Le résultat : des images à la fois grandioses et ambiguës, qui interrogent notre rapport au pouvoir, à la représentation, à la masculinité et à l’autorité. Car si les portraits impressionnent par leur facture et leur éclat, ils dérangent aussi par ce qu’ils révèlent – ou dissimulent.
La transfression du pouvoir
À Rabat, ces toiles monumentales prennent une résonance particulière. Dans une institution dédiée à l’art moderne et contemporain du Maroc, elles viennent perturber le regard, poser des questions sans réponses faciles. Qui décide de ce qu’est un « bon » portrait politique ? Que signifie représenter le pouvoir aujourd’hui, dans un monde saturé d’images mais avide de symboles ? Quelle est la place de l’Afrique dans l’imaginaire global du pouvoir ? Wiley ne propose pas de verdict, mais tend un miroir, déformant parfois, révélateur toujours.
L’exposition frappe également par son ambition esthétique. Chaque toile déborde de détails minutieux, de couleurs vives, de motifs ornementaux inspirés aussi bien de la peinture flamande que de l’art décoratif islamique. Les arrière-plans se détachent parfois du réalisme pour entrer dans une abstraction luxuriante, qui vient encadrer – ou engloutir – les figures représentées. Le contraste entre la solennité des poses et la profusion visuelle crée une tension permanente, un vertige presque baroque, fidèle à l’univers de Wiley.
L’exposition est traversée par une question plus vaste : celle de l’image et de son pouvoir. En redonnant aux chefs d’État africains ou autres, comme le portrait de Napoléon ci dessus,les outils de leur propre représentation, Wiley brouille les pistes. Sont-ils mis en scène ou maîtres de leur image ? Sont-ils sujets ou objets d’un regard critique ? L’artiste joue avec cette ambiguïté, s’en nourrit, l’exacerbe. Et le spectateur, lui, oscille entre fascination et méfiance.
Jusqu’à la fin du mois, « A Maze of Power » offre ainsi aux visiteurs une expérience à la fois esthétique, historique et politique. Une plongée dans un labyrinthe d’images, de symboles et de récits où rien n’est figé, où tout se joue dans l’ambivalence.
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