Aristedes Nargh Hagoe, dramaturge et chorégraphe de la pièce Sajii (« problèmes » en langue locale Ga), s’empare de la scène du Théâtre National d’Accra dans le cadre du Festival National de Théâtre, pour dénoncer avec force et humour, l’orpaillage illégal (galamsey).
Correspondance, Valentine Lemaire

Des arbres arrachés, une terre retournée, une nature détruite au rythme inlassable des coups de pioches assénés par une cinquantaine d’orpailleurs… Cette scène extraite de la pièce Sajii(Issues), interprétée pour la première fois vendredi 26 septembre dans le cadre du Festival National de Théâtre d’Accra, aurait tout aussi bien pu être issue d’un documentaire sur l’un des plus grands fléaux environnementaux du pays : le galamsey, nom local donné à l’orpaillage illégal.
« Provoquer le débat »
« L’orpaillage illégal est une menace existentielle pour le Ghana. » explique le metteur en scène et chorégraphe Dr. Aristedes Nargh Hagoe. « Sajii a été conçue pour provoquer le débat et inciter le pays à agir face aux problèmes auxquels nous sommes confrontés. »
Nommé Gold Coast (Côte d’Or) jusqu’à son indépendance en 1957, le Ghana se retrouve désormais victime de ses ressources. Le pays, classé premier producteur d’or africain et 6ème producteur mondial, se bat pour réguler son exploitation.
Le galamsey – contraction de l’expression populaire « gather and sell » (assemble et vend) – est l’un des défis majeurs du gouvernement, avait annoncé le président John Dramani Mahama avant son élection à la tête de l’Etat en décembre dernier. Et le phénomène est loin d’être nouveau. Il y a près de quarante ans, en 1989, les autorités adoptaient déjà une loi sur l’exploitation minière artisanale de l’or, visant à légaliser l’extraction artisanale et prévenir les activités illégales. Malgré les efforts des différents gouvernements, la pratique n’a cessé de prendre de l’ampleur depuis.
Né d’un orpaillage artisanal mené par les communautés locales, le galamsey atteint aujourd’hui une toute autre dimension. Entre 2008 et 2013, environ 50 000 hommes d’affaires chinois seraient arrivés au Ghana pour prendre part à l’orpaillage illégal. Avec cette ruée vers l’or, on a assisté à une multiplication des sites d’exploitation clandestins à travers le pays et des méthodes d’extraction : produits toxiques, défichages de terrains, matériaux de dragage et machines d’extraction lourdes.
Une catastrophe pour l’environnement
Les conséquences environnementales du galamsey sont visibles. Jusqu’à 20 millions de Ghanéens risquent de perdre l’accès à une eau potable alerte la Coalition ghanéenne contre le galamsey (GCAG). Le mercure et le cyanure utilisés pour isoler la poudre d’or lors de l’extraction, se retrouvent dans les réserves d’eau du pays. Plusieurs stations de pompage comme celle de Kwanyako, à 60 km à l’ouest d’Accra, ont été contraintes de fermer. Mesurée en Unité de Turbidité Néphélométrique (NTU), l’eau de la rivière Ayensu où se trouve la station, a atteint les 94 800 NTU le mois dernier selon le média ghanéen JoyNews. Un niveau bien au-delà des 2 500 NTU, seuil maximum auquel l’usine de traitement avait été conçue pour fonctionner.
Les terres du pays sont également mises à mal. Selon Emmanuel Armah-Kofi Buah, Ministre des Terres et des Ressources naturelles, 44 des 288 réserves forestières du pays sont affectées par les mineurs illégaux et 5 000 hectares dévastés. En décembre dernier, 30 000 hectares de fermes de cacao auraient également été détruites dû au galamsey, selon le Ghana News Agency. Un drame pour le deuxième producteur mondial, fortement tributaire de son secteur cacoyer qui représentait à lui seul, environ 10% de son PIB en 2024.
Le 26 septembre, lors de la conférence annuelle de la société pharmaceutique du Ghana (PSGH) à Cape Coast, l’Oguaamanhen, chef de la zone traditionnelle, a déclaré que la situation n’était plus seulement une crise environnementale, mais également une urgence de santé publique. Les produits chimiques utilisés par les mineurs illégaux contaminent les rivières et les sols et se retrouvent dans les aliments et l’eau que consomment les ghanéens. En septembre, l’Association Médicale du Ghana (GMA) a confirmé que la concentration de métaux dans l’eau des zones minières soulevait de graves inquiétudes sanitaires. L’exposition au mercure et au plomb pourrait entraîner des troubles de santé, allant d’insuffisances rénales à des complications neurologiques.
Le théâtre, miroir de la société
Selon Artistedes Nargh Hagoe et Bridget Afrakuma Oppong, responsable de la Compagnie nationale de danse du Théâtre national du Ghana, « en tant qu’artistes nous tenons le miroir de la société et le marteau pour la façonner. L’idée est de refléter la société telle qu’elle est et d’indiquer la direction qu’elle devrait prendre ». En un peu plus d’une heure et à travers une chorégraphie méticuleusement coordonnée, Sajii associe de manière inédite, le Ghana Dance Ensemble, les Compagnies nationales de danse et de théâtre ainsi que l’Orchestre symphonique du Ghana. « Sur scène, les comédiens se transforment en danseurs et les danseurs se révèlent comédiens. » explique Aristedes. Découpé en quatre scénarios, chacun correspondant à un “sajii”, le spectacle s’inspire de scènes de la vie quotidienne des Ghanéens pour dénoncer, entre humour et drame, les grands défis nationaux.
Le metteur en scène identifie également trois autres problèmes : vols à main armée, meurtres rituels et accidents de la route. « Ces choses arrivent par cupidité et par soif d’argent facile. Les gens cherchent à contourner les règles pour s’enrichir rapidement, et cela nuit à la société. » explique Dr. Aristedes Nargh Hagoe. Dans un contexte de crise économique et sociale, où l’inflation s’élevait à 23% en moyenne sur l’année 2024, ces phénomènes, tout comme le galamsey, apparaissent comme des alternatives d’enrichissement. Autant de problèmes que le pouvoir du président John Dramani Mahama doit résoudre de toute urgence, selon le metteur en scène, qui insiste que le plus impératif d’entre eux reste le galamsey.
La représentation a eu lieu seulement quelques jours après la dernière manifestation « arrêtez le galamsey » qui s’est tenue à Accra le 22 septembre, et porte le même message. Artistedes et ses comédiens, à l’image de plusieurs organisations civiles et religieuses, demandent au pouvoir de prendre ses responsabilités pour mettre un terme, une fois pour toutes, au galamsey. Ils appellent désormais le gouvernement à déclarer l’état d’urgence dans les zones impactées, une mesure toujours en débat à ce jour.
Un appel à l’aide a été lancé pour que les espoirs du Ghana ne finissent pas comme les mineurs de la pièce Sajii, engloutis par le galamsey.
Encadré : un festival pour raconter l’Afrique
Dimanche dernier se clôturait la 11ème édition du Festival National de Théâtre du Ghana. Pendant 6 jours, le Théâtre National d’Accra a ouvert ses portes à une multitude d’artistes ghanéens, issus des communautés à travers le pays, pour présenter selon le thème choisi pour l’événement « la riche diversité de la culture ghanéenne ».
A travers des performances artistiques quotidiennes mêlant théâtre, danse et musique, et des ateliers éducatifs, l’idée pour le directeur des programmes du Théâtre National d’Accra, William Ashong, était que « tout ce qui compose ce festival soit conçu de manière à raconter une histoire sur le Ghana et l’Afrique. ».
Tandis que la plupart des artistes présent a choisi de mettre en lumière et sous différents aspects, la variété culturelle du Ghana – à l’image de la célèbre pièce « Run for your Wife » dirigée par George Quaye. Dr. Aristedes Nargh Hagoe, metteur en scène de la pièce chorégraphique Sajii, a saisi cette occasion pour dénoncer ce qu’il considère comme les enjeux majeurs du Ghana aujourd’hui.