Gaza, la saison en enfer d’un humanitaire

 Pierre Dupont-Taravel, kinésithérapeute, était humanitaire à Gaza au moment de la première Intifada, en 1990-1991 (*). Dans « Le Roman de Gaza », qui n’est pas tout à fait un roman, il parle des rues « gavées d’immondices », des « immeubles éboulés », des « odeurs infectes » et surtout de la violence quotidienne. Un livre qui fait écho à cette actualité dramatique.

Ian Hamel (à Genève)

          

Pour l’opinion internationale en 1990, Yasser Arafat et le Fatah, son parti politique nationaliste palestinien, apparaissaient comme le principal adversaire d’Israël, plébiscités par l’immense majorité des Palestiniens. Or la réalité était tout autre. Dans la bande de Gaza, Pierre Dupont-Taravel voit des jeunes piétiner son portrait. Ils n’écoutent déjà plus que les mots d’ordre du Hamas, le mouvement islamiste fondé en 1987 par le cheikh Ahmed Yassine (tué lors d’une attaque israélienne en 2004). « Le vieil Arafat, alias Abou Amar, alors en exil à Tunis, s’était senti pris de cours par cette Intifada surgie de nulle part, révolte spontanée dont il n’avait pas subodoré l’émergence », écrit l’ancien humanitaire, qui le qualifie de « vieux manœuvrier mal rasé ». Et que les Gazaouis accusent de corruption et d’être inféodé aux Israéliens.    

Le Hamas fait déjà régner sa loi. Toutes les femmes doivent être voilées, même les humanitaires qui ne sont pas musulmanes. Une sage-femme suédoise qui se rend à l’hôpital, a oublié d’ajuster son foulard. Elle est sauvagement poignardée par un jeune palestinien. Quant aux hommes, interdiction de montrer leurs torses, même quand ils se baignent. L’unique cinéma de l’enclave a été incendié. « Des groupes armés du Hamas tuent les gens sur une simple suspicion, une dénonciation, en prétendant qu’ils fournissent des renseignements aux Israéliens », écrit le kiné, installé en France, dans l’Ain, à un coup d’accélérateur de Genève. On ne compte  plus « les exécutions arbitraires inter-palestiniennes, les vengeances personnelles déguisées en actes patriotiques, les luttes de clans », ajoute-t-il.

De la prison pour un jet de pierre      

L’auteur du « Roman de Gaza », qui travaillait alors pour l’ONG Enfants réfugiés du Monde, n’est guère plus tendre avec les Israéliens. En particulier avec les 8 000 colons qui vivent alors dans la bande de Gaza. « Dieu avait légué cette terre aux juifs, affirmaient les colons, y compris ceux qui ne croyaient pas en Dieu », ironise l’ancien humanitaire. Certains soldats israéliens supportent mal l’attitude arrogante des colons, des « juifs plus “élus“ que les autres avec leur manière de les considérer en valets désignés à leur cause ».

Toutefois, la principale préoccupation de l’armée israélienne n’est apparemment pas les droits de l’homme. « Tsahal avait enrichi le catalogue répressif d’une parade psychologique innovante : elle épargnait la maison du coupable, mais rasait au bulldozer celles de ses voisins proches. Châtiment collectif pour acte individuel », s’insurge l’auteur. En 1990-91, 10 000 militaires tentaient de faire régner l’ordre dans cette bande de 40 kilomètres de long sur 10 de large. « Le bidasse israélien se transformait en gardien de palestiniens, en gardien de troupeau », se souvient le kinésithérapeute.     

Un gamin pouvait écoper d’un an de prison pour un simple jet de pierre, dix ans pour avoir lancé un bouteille incendiaire. Pierre Dupont-Taravel n’épargne pas non plus les fonctionnaires internationaux et les humanitaires. « Chacun bricole sa part de vérité (…) Chacun marche dans le sens de ses intérêts », constate-t-il.  Le lecteur retiendra tout particulièrement les descriptions de ce “monstre“ dont on ne voit mal comment il pourrait un jour sortir quelques chose de bon. « Souhaiter la bienvenue à quelqu’un qui entre dans Gaza, c’est aussi démoniaque « que traiter de veinard un type qui s’apprête un champ de mines », prévient l’ancien humanitaire. L’enclave gazaouie n’est qu’« un bourbier insalubre aux odeurs infectes, « un lambeau de terre gris et semi désertique raboté par le vent ».

Comme épigraphe, l’auteur cite l’ancien poète palestinien Mahmoud Darwich : « J’ai su combien j’étais Arabe dans les prisons israéliennes. J’ai su combien j’étais Palestinien dans les prisons arabes ». « Même si les Arabes du Proche-Orient manifestent bruyamment en faveur des Palestiniens, dans les faits, ils ne les aiment pas. Quand Gaza était occupé par l’Égypte entre 1948 à 1967, les Palestiniens  étaient parqués », assure Pierre Dupont-Taravel.   

(*) « Le roman de Gaza », Balland, 389 pages. Pierre Dupont-Taravel, aujourd’hui âgé de 69 ans, a également mené des actions humanitaires en Polynésie, au Vietnam, au Cambodge, au Maroc, en Centrafrique. Par ailleurs, il a effectué un tour de la terre à vélo durant quatre ans.