Gabon, un brulot lucide sur le règne bancal du président Brice Oligui Nguema

À l’heure où les peuples africains espèrent des lendemains neufs, voilà qu’un général, Brice Oligui Nguema, rejoue les vieilles scènes avec de nouveaux costumes, et convoque les symboles de la République pour mieux sanctifier son propre règne. Janis Otsiemi signe avec Deuxième chronique du règne du roi Brice 1er  (ONA Editions 2025) un brûlot littéraire salutaire, acide et lucide, qui dénonce et révèle. Le livre est déjà interdit à la vente au Gabon. 

 Jocksy Andrew Ondo-Louemba

C’est un livre à mettre entre toutes les mains et qui se lit où plutôt se dévore d’une traite : Deuxième chronique du règne du roi Brice 1er de Janis Otsiemi, le patron du polar au Gabon et écrivain engagé. Dans cet ouvrage qui se veut le deuxième tome des chroniques du règne de Brice Oligui Nguema, Putschiste élu le 12 avril 2025 « démocratiquement » à 94 % des voix.  À peine le trône conquis, le nouveau monarque s’entoure de visages connus : militaires promus, fidèles récompensés, anciens recyclés. Le langage change, les réflexes restent. « Quand on est avec un Président, on le suit jusqu’au bout. (…) Mais si on a des points de vue divergents, il faut prendre votre route » (p. 9). Derrière la verticalité martiale, l’exigence absolue d’allégeance.

Janis Otsiemi révèle sans filtre un pouvoir qui prétend restaurer l’État mais qui ne fait que l’absorber. La rupture promise ? Une mise en scène bien huilée, servie par un discours qui ressasse « le coup de la libération du 30 août » devenu un mantra creux (p. 11). Un règne commencé par une confiscation symbolique et qui s’installe dans le confort de la continuité.

Un théâtre d’ombres où le peuple regarde, impuissant

Pendant que le roi parade, la réalité frappe. Le peuple s’éclaire à la bougie, les jeunes s’indignent. Les tournées dites républicaines sont des campagnes masquées, assorties de distributions d’enveloppes mal redistribuées. « Mécontents, les jeunes de la ville minière saccagèrent la mairie. Il y eut des violences physiques avec séquestration de certains responsables chargés de l’organisation du séjour du roi dans la ville » (p. 13).

À chaque étape, c’est le même scénario : discours autoritaire, mise en scène viriliste, et tentative d’acheter le silence des foules. Et lorsque les critiques fusent, la réponse est cinglante : « Si vous manquez de rigueur en vous et de discipline, on ne pourra pas s’entendre et nous ne pourrons pas vous aider (…) J’ai appris un principe quand j’étais jeune, c’est que la main qui demande est toujours en bas de celle qui donne » (p. 12). Tout est dit.

La transition qui s’auto-dévore

Dans cette chronique, on voit le système digérer ses propres enfants, éliminer ses voix divergentes, criminaliser ses anciens alliés. La logique est implacable. Un ancien ministre – Hervé Patrick Opiangah pour ne pas le citer – accusé, pourchassé, humilié publiquement, et qui disparaît : « Dans la même journée, son domicile fut perquisitionné (…) sa fille, sa femme et ses deux frères furent arrêtés et interrogés » (p. 21).

Même les promesses de moralisation sombrent dans la farce : nominations incohérentes, faussaires démasqués. « Le faussaire fut démasqué et débarqué de son poste » (p. 27). Et quand l’indignation monte, la réponse est toujours administrative, glaciale, hors-sol.

Écrire pour ne pas se taire

Janis Otsiemi ne livre pas seulement une satire. Il construit un acte de mémoire. Il documente le présent pour que l’histoire, demain, ne soit pas écrite par les seuls griots du pouvoir. Sa plume, acérée, joue avec les codes de la chronique de cour : les rois, les généraux, les palais, les courtisans. Mais c’est pour mieux débusquer la vérité nue.

Ce qu’il donne à voir, c’est la mécanique d’un pouvoir qui s’invente des ennemis, se fabrique des élections sur mesure, et finit par se choisir comme seul successeur. « L’ultime illusion de notre Général-Président fut de nous faire croire qu’il rendrait le pouvoir aux civils au terme de la transition. Il finit par se transformer en civil pour se transmettre le pouvoir à lui-même ! » (p. 41).

Une œuvre d’utilité historique…et déjà interdite!

Au fond, ce texte est un miroir tendu au Gabon. Un miroir sans concession, où l’on voit que le « roi pragmatique » n’est que le prolongement d’un système qui a muté sans jamais se dissoudre. La Constitution est taillée à sa gloire, les institutions alignées, les opposants écartés. La société civile ? Priée de chanter des « joyeux anniversaires » lors des levées de couleurs ministérielles (p. 41).

Mais l’auteur, lui, ne chante pas. Il observe. Il dénonce. Il documente. Et il écrit. Pour que personne ne puisse dire demain qu’on ne savait pas.

Quant à Brice Oligui Nguema on ne sait s’il a lu ce deuxième tome des chroniques de son règne dont lui-même a annoncé ne pas connaître la durée.  Une chose est pourtant sûre, ce brûlot sous la pression des militaires a été retiré de la vente au Gabon. Le Gabon est une République où on n’aime pas beaucoup les opposants…