Feu le tyran Mobutu reste populaire au Congo 

Comment un tyran, qui a pillé l’économie nationale avec une pareille énergie, peut-il encore bénéficier d’une bonne image en République Démocratique du Congo ? Pour le découvrir, il faut se jeter sur La chute du léopard. Sur les traces de Mobutu, brillant ouvrage de la journaliste britannique Michela Wrong, traduit en français (*). 

Par Ian Hamel

A la télévision, à l’époque où la République Démocratique du Congo (RDC) s’appelait Zaïre, Mobutu Sese Seko Kuku Ngbendu Wa Za Banga (le guerrier qui va de victoire en victoire sans que personne puisse l’arrêter) avait donné ce conseil à ses compatriotes : « Si vous voulez voler, volez un peu de manière agréable. Mais si vous volez trop pour devenir riche du jour au lendemain, vous serez pris ». Au sommet pendant 32 ans, le pillard en chef, a sur montrer l’exemple. A sa mort, en 1997, on estimait sa fortune à 14 milliards de dollars, dont huit dissimulés dans des coffres en Suisse. Le Conseil fédéral (le gouvernement helvétique) avait été contraint d’expliquer à Kinshasa que Mobutu était sans doute un homme assez peu recommandable, mais encore fallait-il le prouver. Or, le dictateur n’a jamais été jugé dans son pays. Quant aux biens détournés, ils n’étaient généralement pas à son nom. Résultat, la pêche avait été plus que décevante : à peine 6 millions de francs suisses retrouvés. Ajoutez une villa à Savigny, sur les bords du lac Léman, estimée à 3,3 millions.       

La journaliste Michela Wrong, collaboratrice de Reuters, de la BBC, du Financial Times, nous décrit un autodidacte brillant (il n’a jamais terminé son secondaire) et d’une grande vivacité intellectuelle. Il appartenait à l’ethnie des Ngbandi, « perdue dans les zones les plus reculées de l’Afrique », qui, pour les gens de la ville, était « composée de bouseux rustiques qui venaient juste de renoncer aux pagnes ». Son père était cuisinier chez un juge belge. La femme de ce juge s’était prise d’affection pour le petit garçon, qui s’appelait alors Joseph Désiré Mobutu. Elle « lui avait appris à lire, à écrire et parler couramment le français ». Si Michela Wrong lui reconnaît un génie politique, en revanche, Mobutu était un « handicapé économique ». En fait l’économie ne l’intéressait absolument pas. « Pour le leader d’u putsch militaire, un tel défaut est sans conséquence. Pour un président qui devait rester trois décennies au pouvoir, le résultat se révèlerait catastrophique », écrit-elle.

Lary Devlin, agent de la CIA 

Barbouze et gentleman         

Dans ce livre, qui fourmille d’anecdotes, on retiendra le portrait de Lary Devlin, agent de la CIA, qui a très bien connu Mobutu à ses “débuts“, quand ce dernier était le bras droit de Patrice Lumumba, alors Premier ministre. Le job de Lary Devlin ? Saboter les projets d’expansion communiste de l’Union soviétique. Et Patrice Lumumba était un allié potentiel des Soviétiques. L’agent des services secrets américains a-t-il joué un rôle dans l’élimination de Lumumba, dont on n’a jamais retrouvé le corps, à l’exception d’une dent en or ? La réponse n’est pas dans « La chute du léopard ». En revanche, on y apprend que Lary Devlin, qui vit aujourd’hui en Virginie, est un « gentleman à l’ancienne, qui tient la porte aux dames et insiste avec douceur pour régler l’addition », et qu’il « s’habille avec une élégance étudiée »…

Au Zaïre, l’inflation avait ainsi grimpé jusqu’à 9800% avec Mobutu! « Le temps de boire un café, le taux pouvait avoir changé plusieurs fois ».    

Mobutu a laissé un pays exsangue, divisé, pris au piège de la malédiction des ressources, qui veut qu’en Afrique subsaharienne, « les pays dotés des plus importantes ressources naturelles [cuivre, zinc, cobalt, or, diamant, cadmium, manganèse, coltan, germanium] sont condamnés à la guerre et à la stagnation ». Pourtant, 27 ans après sa mort (il est décédé au Maroc en 1997), Mobutu n’a pas complètement perdu son aura, surtout auprès de ceux qui ne l’ont pas connu… « Si vous arrêtez un jeune de vingt ans dans la rue aujourd’hui, pour lui demander ce qu’il pense de Mobutu. Il vous répondra sans doute que c’était un nationaliste qui a joué un rôle important, via l’Authenticité et la zaïrianisation, en rappelant aux Congolais leur propre valeur », affirme Mabi Mulumba, ancien Premier ministre de Mobutu.

Mobutu porte l’abacost, cette veste à haut col en laine marron devenue culte

« L’abacost » encore branché

De jeunes congolais portent encore l’abacost, cette veste à haut col, en laine marron ou bleu marine, inventée par Mobutu, ou encore des lunettes à monture épaisse, à la Buddy Holly, signe distinctif de l’ancien dictateur. D’autres choisissent comme sonnerie un extrait d’un discours célèbre de l’homme à la toque en peau de léopard. Sans oublier le groupe congolais MPR (pour Musique Populaire de la Révolution), clin d’œil au Mouvement Populaire de la Révolution (MPR), l’ancien parti unique au temps de Mobutu. « Certains clips de MPR font figurer un sosie caricatural et tonitruant de Mobutu, et évoquent souvent des épisodes marquants de l’histoire du Congo », raconte encore la journaliste anglaise.       

 

  

(*) Max Milo, 296 pages, juin 2024, 19,90 €.