Les femmes tentent de s’imposer dans le cinéma égyptien

Ce jeudi 7 mai marque la clôture de la neuvième édition du festival international du film féminin dans la ville d’Assouan, en Haute-Égypte. Projections, ateliers, conférences et spectacles se sont succédés avec l’ambition de sensibiliser le public aux droits des femmes dans le cinéma.

Bahiga Hafez dans le film « Laila, fille du désert » (Laila, bint al-sahara) Egypte, 1937 Paris, Photothèque de l’IMA ©IMA

Le festival international du film féminin organisé dans la ville d’Assouan, au cœur de la Haute-Égypte permet avant tout de mettre en lumière des films réalisés par des femmes et de valoriser leur travail. “Le festival attire un large public, des jeunes et des moins jeunes, des professionnels et des amateurs. Il n’y a pas seulement des femmes qui viennent, parce que c’est important pour nous que des hommes assistent aux films et participent aux séminaires, on a aussi besoin d’eux pour reconnaître les problèmes auxquels nous faisons face et faire évoluer les mentalités. Le plus important à travers ces films, c’est de confronter le public à certains stéréotypes”, nous confie Dr. Azza Kamel, cofondatrice du festival et membre du conseil d’administration, elle-même à l’initiative de plusieurs projets visant à valoriser le droit des femmes en Égypte.

La cérémonie d’ouverture a été marquée par la présence des éminentes actrices égyptiennes Leblebe et Kinda Alloush, ainsi que par l’invitation de la réalisatrice et scénariste Eslbeth Frannje. Au programme : workshops, long-métrages, documentaires, compétition de courtsmétrages, ou encore tables rondes qui abordaient la place des femmes dans le cinéma.

A l’issue de la cérémonie de clôture, plus de 17 prix ont été décernés à des réalisatrices. Parles principales distinctions, le premier prix du film avec impact a été attribué au film égyptien “Albia” réalisé par Rodnia Andeel, le prix du film du sud à “Molasses” réalisé par Beshoy Raafat, le prix du film euro-méditerranéen à “Moon” réalisé par l’autrichienne Kurdwin Ayub, et enfin le prix du long métrage au film “Sudan Remember Us” réalisé par Hind Meddab.

À l’effigie d’Oum Khalthoum

Sur l’affiche de l’événement, on peut immédiatement reconnaître les traits de la célèbre diva égyptienne Oum Khalthoum. Cette année, en l’honneur du cinquantième anniversaire de sa mort, le festival a décidé de lui rendre hommage. Chaque édition commémore une grande figure féminine, l’édition précédente célébrait Djamila Bouhired, militante du FLN et figurede l’indépendance algérienne.

Surnommée “l’Astre d’Orient” Oum Khalthoum n’est pas seulement une icône de la musiqueElle joue dans un premier film en 1936 intitulé “Weddad” inspiré d’une histoire des Milles et une Nuit, puis apparaîtra dans cinq autres films tout au long de sa carrière.

L’Égypte, connue pour son septième art depuis le début du XX° siècle, est le pays du Moyen- Orient où s’est structurée le plus rapidement l’industrie cinématographique. Le cinéma égyptien se développe à la fin des années 30 avec un film fondateur réalisé et interprété par une femme. C’est en 1927 qu’Aziza Amir produit le premier film muet égyptien “Laila”. On peut également citer Assia Dager, importante actrice et productrice libano-égyptienne, ou encore Fatma Rouchdi, également considérée comme l’une des pionnières du milieu avec le film “Le mariage” en 1933. Deux ans plus tard, les studios Misr sont créés par l’économiste Talaat Harb avec l’objectif de promouvoir le nationalisme arabe, et progressivement le cinéma égyptien connait un véritable essor.

L’égalité homme femme 

Au travers de conférences ou de discussions, la programmation du festival entendait avant tout sensibiliser son public. Elles regroupaient plusieurs thématiques : “Donner du pouvoir aux femmes cinéastes dans le sud de l’Égypte”, “Le rôle des organisations nationales et internationales dans l’autonomisation des femmes”, ou encore “Les femmes, pionnières du cinéma en Égypte”. Pour appuyer son travail de plaidoyer, le festival a créé depuis plusieurs années le “Nut Forum for Women’s Issue”.

“Nous organisons des dialogues interactifs entre les acteurs, les réalisateurs, les producteurs et les médias et nous discutons de plusieurs sujets liés au milieu du cinéma, mais pas uniquement. On aborde les violences domestiques, les mariages précoces, les mutilations génitales, les discriminations et on se questionne sur la manière dont le cinéma s’empare de tout ça”, nous explique de nouveau Dr.Azza Kamel, également membre de l’initiative.

La ville d’Assouan marquée par son conservatisme.

Entre les risques de discrimination, d’agression ou de harcèlement, les femmes sont beaucoup plus exposées aux violences sur le terrain, et malgré la progression de la proportion de femmes dans le cinéma, celle-ci reste faible et leur part demeure inégale dans la répartition des fonctions. À titre d’exemple, depuis 1929 les femmes ne représentent que 17% des nominées aux Oscars, d’après le World Economic Forum.

Créé en 2017, le festival avait rencontré quelques résistances à ses débuts dans une ville d’Assouan particulièrement marquée par son conservatisme. Aujourd’hui, les organisateurs travaillent d’arrache-pied avec la société civile. Cette semaine, des activités étaient notamment proposées aux enfants de la ville et des projections ont été diffusées dans plusieurs lieux publics avec l’idée d’inclure les milieux les plus marginalisés aux enjeux féministes.

Un évènement aux ambitions internationales

Bien qu’encore très largement tourné vers le cinéma arabe, le festival entend étendre son influence à l’étranger. Les organisateurs ont ainsi revendiqué à plusieurs reprises leur volonté de se positionner internationalement en ne se limitant pas uniquement aux œuvres égyptiennes.

Pour illustrer cette nouvelle ambition, la programmation n’affichait que deux films égyptiens cette semaine. Avec l’idée de revendiquer les enjeux féministes dans le cinéma comme universels, le festival ambitionne avant tout d’instituer l’Égypte comme un acteur culturelincontournable dans l’industrie cinématographique.

Organisé conjointement par les ministères du tourisme, de la culture et de la solidarité sociale,le festival s’appuie sur de nombreux  collaborateurs égyptiens, tels que le gouvernorat d’Assouan et le Conseil National de la Femme. Présidé par Amal Ammar, celui-ci est créé dans les années 2000 et agit comme un opérateur de l’État égyptien pour décider des législations et des politiques publiques en faveur des femmes. Au cours de l’événement, la présidente du conseil d’administration du festival a souligné l’importance de l’autonomisation des femmes en déclarant que leurs ambitions s’inscrivaient en continuité avec la politique gouvernementale.