Le dernier film du réalisateur Robert Guédiguian ne se passe pas, pour une fois, dans sa ville de Marseille mais dans le Mali de l’année 1962 en pleine période de la présidence de Mohibo Keita, alors que l’ancienne colonie française connaissait une expérience inédite de « socialisme » africain.
Une chronique de Christian Labrande
Le film raconte l’histoire de deux jeunes Maliens, Samba et Lara dont la trajectoire permet de mettre à jour les contradictions d’un pays voulant passer directement du statut de colonie à celui d’Etat socialiste.
Evocation située dans un cadre géographique et historique précis, Twist à Bamako est traversé par une question qui n’a rien perdu de son actualité, celle des formes d’expression d’une énergie libératrice.
Samba est le fils d’un gros commerçant de Bamako mais milite au sein d’une organisation chargée de mettre en place les réformes décidées par le gouvernement socialiste : monopole du commerce extérieur , création d’une monnaie locale destinée à remplacer le franc CFA et surtout réquisition forcée de la production agricole redistribuée à travers un réseau de coopératives. Le père de Samba étant un des initiateurs des manifestations contre ces mesures, il se trouve face à un conflit déchirant .
La tourmente yéyé
Mais l’originalité du film de Robert Guédiguian, et c’est là que s’explique son titre, c’est de mettre à nu les autres conflits amenés par le nouveau contexte politique.
Samba tombe amoureux de la jeune Lara (superbement interprétée par Alicia da Luz) . Et les deux jeunes gens , en dehors de leurs activités militantes, ont une autre passion : se retrouver dans les clubs de Bamako en pleine déferlante de la vogue yéyé. La bande originale du film illustrant les trépidantes scène de twist, mêle des tubes de Chubby Checker (let’s twist again), des Chaussettes noires, ou des Beach Boys. Dans la chambre de Samba , des posters de Johny Hallyday et des couvertures de Salut les Copains voisinent avec des portraits de Hô Chi Minh et de Patrice Lumumba.
C’est la révélation qu’a été pour lui la découverte des photos du photographe malien Malick Sidibé qui a donné à Guédiguian l’idée de faire ce film. Ces clichés , qui ont été exposés à la fondation Cartier en 1995 ont pour sujet la vie des clubs de Bamako. Ils donnent bien l’idée de l’effervescence qui avait submergé la société malienne durant de cette trop brève période faste. Habilement, Guédiguian a introduit nombre de ces clichés noir et blanc dans le montage des scènes de boites de nuit. Permettant un aller et retour entre hier et aujourd’hui et confrontation entre le réel et la fiction.
Twist à Bamako illustre aussi, sans aucun didactisme les contradictions de ces expériences révolutionnaires dénonçant l’impérialisme américain ( largement responsable de la chute de Lumumba) et les aspirations d’une jeunesse tombée sous le charme de ses industries culturelles, musicales en l’occurrence. D’ailleurs le nouveau pouvoir interdira rapidement cette musique, jugée dégénérée, et les lieux qui l’accueillent, les clubs où règne le twist .
Comme le proclame ironiquement un des jeunes héros du film « Pour Lénine aujourd’hui le socialisme c’est les soviets, l’électrification ,et le twist…. (rappelons en passant que Moibo Keita s’est vu décerner le prix Lénine en 1961… ).
Au-delà de la musique le film de Guédiguian soulève la question , toujours actuelle , du caractère inachevé d’un révolution qui néglige la nécessité d’un réforme de la vie quotidienne.
Un « west side story » africain
Samba et Lara se heurtent ainsi aux archaïsmes de la d’une société africaine post coloniale. La jeune Lara a dû s’enfuir de son village pour échapper à un mariage forcé avec un vieux notable. Elle a toutefois eu le temps de se marier , civilement avec Samba mais un mariage civil ne compte pas en regard d’un mariage religieux. Et le nouveau code civil révolutionnaire ne pèse rien face à cet archaïsme. La jeune femme est poursuivie pour être ramenée de force dans son village, loin de l’air de la ville qui a pu la rendre libre pour un temps.
Le film se termine tragiquement comme un Roméo et Juliette, ou plutôt un West Side Story africain. La révolution n’est décidément pas un repas de fête….
Une brève séquence finale montre, cinquante ans plus tard Lara, vieille dame, dans les rues de Bamako sillonnées par les pick up de barbus brandissant leurs fusils mitrailleurs. Dans un ultime geste de défi, elle retire son voile et se met à danser au son d’une musique à nouveau interdite.
Pour des raisons de sécurité le film a été rourné au Sénégal mais Robert Guédiguian l’a fait traduire en Wolof et en Bambara pour qu’il puisse toucher un large public africain.
Souhaitons meilleur vent à ce film qu’à l’espoir révolutionnaire au Mali lors des indépendances !
Twist à Bamako, un film de Robert Guédigian. Avec Alicia da Luz, Stéphane Bek, Isaka Swadogo…Prod : Agathe Films. France 2021. 125 minutes