Avec « Disco Afrika : Une histoire malgache » , le réalisateur Luck Razanajaona signe un film puissant et sensible qui donne la parole à la jeunesse de Madagascar, confrontée à la corruption, à l’exil intérieur et au choix entre révolte et résignation.
Présenté en avant-première au Festival de Marrakech en novembre 2023, puis en février 2024 à la Berlinale où il a reçu une mention honorable du jury de l’AG Kino – Gilde e.V., « Disco Afrika : Une histoire malgache » fait figure d’événement dans le paysage du cinéma africain contemporain. À travers le parcours d’un jeune homme pris entre survie et éveil politique, le film explore avec justesse et sans compromis les blessures sociales et morales d’un pays en crise. Porté par une mise en scène sobre et habité par des acteurs au jeu intense, il révèle surtout un regard inédit, celui de la jeunesse malgache qui cherche à faire entendre sa voix.
Le héros du film, Kwame, a vingt ans. Comme beaucoup de jeunes Malgaches, il n’a pas d’autre choix que de travailler dans les mines illégales de saphir pour survivre. Le labeur est dur, les conditions inhumaines, l’avenir bouché. Mais un événement imprévu le contraint à revenir dans sa ville natale, où il retrouve sa mère et ses amis d’enfance. Ce retour, loin de constituer un apaisement, l’immerge dans un monde qu’il ne reconnaît plus : une société rongée par la corruption, les inégalités croissantes et la résignation. Kwame se trouve alors à la croisée des chemins. Va-t-il céder à l’appel de l’argent facile, comme tant d’autres ? Ou bien choisir de résister, au risque de tout perdre ?
Ce dilemme intime, ancré dans une réalité sociale lourde, devient la matrice d’un récit à la fois personnel et politique. Car si le film de Luck Razanajaona touche si juste, c’est parce qu’il ne cherche pas à donner de leçons, mais à raconter avec humanité. La caméra suit Kwame sans jamais le juger. Elle épouse ses doutes, ses colères, ses silences. Le rythme du récit épouse la lente montée en tension d’une prise de conscience. Le spectateur est pris dans cette spirale douce et brutale, entre espoir et fatalisme. Le film ne propose pas de solution, mais il pose les bonnes questions, et c’est ce qui fait sa force.
Le choix du casting contribue aussi à la réussite du film. Parista Sambo, dans le rôle de Kwame, offre une prestation remarquable de retenue et d’intensité. À ses côtés, Laurette Ramasinjanahary (Mama), Joe Lerova (Idi), Drwina Razafimahaleo (Bezara) et Jérôme Oza (Babaa) composent une galerie de personnages justes et incarnés. Leurs interactions révèlent, dans les non-dits comme dans les confrontations, les fractures d’une société où chacun tente de s’en sortir comme il peut. Le travail de direction d’acteurs, tout en finesse, laisse place à l’émotion brute.
« Disco Afrika » est aussi un film visuel fort. La photographie capte la beauté brute des paysages malgaches, mais aussi la rudesse des lieux de vie, des espaces dégradés, des marges où se déroulent la majorité des scènes. Le contraste entre ces décors et la jeunesse des protagonistes donne à l’image une densité poétique, accentuée par une bande-son discrète mais efficace. Il n’y a rien de spectaculaire dans ce film, mais tout y est essentiel. Chaque plan, chaque regard, chaque silence compte.
Le film parle à toute une génération africaine, confrontée aux mêmes dilemmes : partir ou rester, se taire ou résister, subir ou rêver. En cela, le film de Luck Razanajaona s’inscrit dans une nouvelle vague de cinéma africain indépendant, qui mêle ancrage local et résonance universelle. Sa sélection dans des festivals internationaux de premier plan, comme Marrakech ou Berlin, témoigne d’une reconnaissance croissante de ces voix singulières, longtemps marginalisées, qui proposent une autre image de l’Afrique : lucide, sensible, critique, inventive.
Produit en collaboration avec plusieurs pays (France, Allemagne, Madagascar, Maurice, Afrique du Sud et Qatar), « Disco Afrika » est aussi un exemple de coproduction réussie, respectueuse de l’identité culturelle du récit. C’est un signal encourageant pour le développement du cinéma malgache, encore trop peu visible sur les écrans internationaux, malgré la richesse de ses talents.
En donnant une voix à la jeunesse, en filmant sans fard les failles et les forces de la société malgache, « Disco Afrika » s’impose comme une œuvre marquante, à la fois cri de colère et déclaration d’amour.
Le film est actuellement disponible en streaming gratuit sur la plateforme TV5MONDEplus.