Libération a recensé une cinquantaine de livres en hébreu parus en Israël sur cette horrible razzia. Pour la France seule, la journée la plus meurtrière de l’histoire qu’a connue la population d’Israël a inspiré plus d’une vingtaine d’auteurs.
Ian Hamel
Comme le 11 septembre 2001, devenu le 11 Septembre, on ne dit déjà plus 7 octobre 2023, mais 7 Octobre, avec majuscule et sans mentionner l’année. Quand Guillaume Auda, grand reporter, qui a couvert plusieurs conflits armés en Israël, à Gaza, veut évoquer le 7 octobre avec son amie palestinienne Nawal, le ton monte brutalement. « Pourquoi est-ce que tout le monde nous interroge tout le temps sur le 7 octobre, et jamais sur le 6, et jamais sur le 5 ? Est-ce que tu sais, toi, ce qu’il s’est passé le 5 octobre ? Un Palestinien, un de plus, a été tué par des colons à Huwara. Et combien encore avant lui ? Hein, combien ? », lâche Nawal (2). Huwara est une petite ville de Cisjordanie de 7 000 habitants dans le gouvernorat de Naplouse, victime d’expéditions punitives menées par des colons israéliens.
Nawal et Guillaume Auda se connaissent pourtant depuis une quinzaine d’années, ils sont camarades et ont travaillé ensemble. Ce qui n’empêche pas Nawal de lui dire « Vous les Occidentaux (…) Votre hypocrisie me révolte (…) Tout cela parce que ce pays [Israël] est votre protégé, C’est lamentable et c’est raciste ». Dès les premières lignes, l’ouvrage « 7 Octobre, année zéro » donne le ton sur le fossé sanglant qui sépare dorénavant Israéliens et Palestiniens. Et quand l’auteur interroge ensuite son ami Olivier Fitoussi, photojournaliste franco-Israélien, sur ses voisins palestiniens, ce dernier lui répond : « Non, ce ne sont pas nos voisins (…) Si c’étaient non voisins, alors le 7 octobre au matin, ils auraient dû dire : “On condamne ce qu’il s’est passé“. Mais ils ne l’ont pas fait. Moi je te dis, je ne sais pas qui sont “les Palestiniens“… ».
La fin des pacifistes
Sébastien Spitzer, qui précise avoir un nom d’origine juive, être catholique et parler arabe, auteur de « Et nous danserons encore », explique dans une interview parue le 6 octobre qu’avec le 7 Octobre « toutes mes abstractions, toutes mes représentations du conflit israélo-palestinien ont volé en éclats ». Le plus bouleversant dans ce drame, c’est que la majorité des participants au festival de musique de Réïm étaient des pacifistes, violemment opposés à la politique de Netanyahou. Quant à Viviane Silver, 70 ans, elle militait depuis des décennies pour la paix. Elle a été assassinée le 7 octobre aux premières heures du jour (3).
Résultat, s’il y a encore en Israël des adversaires acharnés du Premier ministre, trouve-t-on toujours des pacifistes ? La grande majorité de la population se montre favorable à l’intervention militaire au Liban afin de tenter d’éradiquer le Hezbollah. Et peut-il exister des anarchistes en Israël ? Question incongrue que pose Pierre Sommermeyer dans « Une guerre qui n’en finit pas », publié par les éditions du monde libertaire. Selon lui, la société israélienne est très à droite, classe ouvrière incluse, « et que l’on apprend aux gens à vivre dans une crise d’angoisse constante et à voir l’État comme son parent protecteur, sans qui on est tous-toutes des condamnés-es » (4).
Greta Thunberg se coiffe d’un keffieh
En clair, pour le reste de la planète, nous sommes devenus des méchants soutenant les très méchants israéliens, présentés comme les nouveaux nazis. Greta Thunberg, l’activiste suédoise du climat, se coiffe d’un keffieh. Eden Golan, une jeune chanteuse israélienne, est huée au concours de l’Eurovision, une compétition pourtant bien peu politique. Aux élections législatives au Royaume Uni, des candidats ont été élus sous l’étiquette « Pour Gaza ».
En France, Rima Hassan a volé la vedette à la tête de liste de la France insoumise aux élections européennes en scandant que tous les dirigeants israéliens sans exception « sont des criminels de guerre et des colonisateurs ». Enfin, pour la papesse du “woke“, l’Américaine Judith Butler, professeur à l’université de Californie à Berkeley, il ne faut voir dans le 7 octobre, qu’un pur « Act of Resistance ».
Gilles Kepel a déjà publié cette année « Holocaustes. Israël, Gaza et la guerre contre l’Occident », il nous livre à présent « Le bouleversement du monde », essentiellement consacré à l’après Gaza (5). Le « Nord », et tout particulièrement Israël, est devenu pour le « Sud Global » si haïssable que les massacres du 7 octobre 2023, perpétrés par le Hamas, ne prennent plus qu’un caractère sacrificiel, « à l’image du déluge envoyé par Allah pour châtier les impies qui refusent le message de son prophète ». Pour Kepel, cette attaque terroristeopérée par le Hamas a profondément fracturé de l’intérieur l’hégémonie de l’Occident. « Celui-ci s’est vu diabolisé par ricochet et qualifié dans la foulée, par une partie de sa propre jeunesse, de “Nord“ haïssable auquel s’opposerait la coalition vertueuse du “Sud Global“ », écrit-il. Gaza est devenue la souffrance par excellente. Pour les populations de ce que l’on appelle encore le tiers-monde – et pour les étudiants des universités occidentales, américaines comme françaises – les milliers de morts de l’enclave palestinienne sont perçus comme « l’aboutissement de la colonisation européenne, de la traite négrière et de l’esclavage ».
Filmer avant de perdre la vie
De son côté, l’ouvrage « Les assiégés dans l’enfer du 7 octobre » retrace le calvaire vécu par 27 Israéliens (dont un Bédouin) entassés dans une “migounit“, un abri anti-roquettes, assaillis par les combattants du Hamas (6). Cet abri, de 4,20 mètres de long sur 2,2 mètres de large, n’a pas de porte, mais l’entrée forme un coude conçu pour protéger l’intérieur des éventuels éclats de roquettes. Les terroristes lancent des grenades, un jeune israélien se sacrifie en tentant de relancer les grenades. 16 vont mourir, 4 ont été kidnappés. Il y a 7 survivants. Sans explication, une jeune fille est capturée, puis relâchée. Geste humanitaire d’un des assaillants sur la dizaine qui encercle la “migounit“ ?
En faisant la lumière sur des crimes précis en un endroit précis, minute après minute, grâce aux téléphones portables, « Les assiégés » nous fait comprendre qu’il sera dorénavant de plus en plus difficile pour les bourreaux de cacher leurs crimes. Durant les assauts, les Israéliens comme les Palestiniens n’ont cessé d’appeler, de filmer, parfois quelques secondes avant de perdre la vie.
- Thomas Stélandre, « 7 Octobre : des livres pour le dire », Libération, 3 octobre 2024.
- Guillaume Auda, « 7 Octobre, année zéro », Le cherche midi, 252 pages.
- Aziliz Le Corre, « Sébastien Spitzer, “Le 7 octobre raconte toute l’histoire d’Israël“ », Le JDD, 6 octobre 2024. « Et nous danserons encore », Albin Michel, 256 pages.
- Pierre Sommermeyer, « Israël-Palestine 2003-2024. Chroniques libertaires », Éditions du monde libertaire, 162 pages.
- Gilles Kepel, « Le bouleversement du monde. L’après 7 Octobre », Plon, 169 pages.
- Hervé Deguine, Nitzan Horowitz, « Les assiégés », Le cherche midi, 229 pages.