Claudia Cardinale, icône absolue du cinéma européen, s’est éteinte hier à 87 ans. Née à La Goulette, elle n’a jamais renié ses racines tunisiennes. Hommage à la « fille du port » devenue légende mondiale.
Claudia Cardinale est née le 15 avril 1938 à La Goulette, ce port populaire et animé qui borde la baie de Tunis. Il faut imaginer, à l’époque, un quartier vibrant, envahi de voix mêlées : Siciliens, Maltais, Français, Juifs tunisiens et Arabes vivent, commercent, prient côte à côte, partagent la plage, le pain et les souvenirs. Dans cette enclave unique, ouverte sur la Méditerranée, la famille Cardinale s’installe entre tradition sicilienne et chaleur maghrébine.
Son père, Francesco, ingénieur des chemins de fer tunisiens, travaille dur, mais rêve d’Italie. Sa mère, Yolanda, d’origine tripolitaine, veille sur Claudia, sa sœur Blanche et leurs deux frères dans une maison où l’on parle d’abord le dialecte sicilien, où le français est la langue de l’école, et où l’arabe colore le quotidien. L’Italie, pour Claudia, n’est qu’une abstraction ; elle est d’abord « fille de Tunisie », élevée dans ce port où les églises, les synagogues et les mosquées partagent la même rue.
« Mon enfance était une fête », disait-elle. Elle évoquait volontiers les parties de ballon sur le sable, la mer presque à portée de main, les odeurs entêtantes du poisson grillé et du jasmin, les cris des vendeurs sur les marchés du port, la joie des processions de la Madonna della Trapani – la sainte patronne de la petite Sicile locale. C’est là, sur la plage de La Goulette, que Claudia apprend la liberté : liberté de circuler, de grandir, d’oser être soi dans le brouhaha joyeux d’une Tunisie où l’on passait sans heurt d’une langue à l’autre, d’une culture à l’autre.
Claudia étudie d’abord à Carthage, chez les Sœurs Saint-Joseph-de-l’Apparition, puis à l’école Paul Cambon de Tunis. Elle se rêve institutrice, comme beaucoup de jeunes filles à l’époque, loin du rêve cinématographique. Pourtant, déjà, son visage fascine. Lorsqu’elle est élue « la plus belle Italienne de Tunisie » lors d’un concours organisé par le consulat d’Italie, tout bascule. Le prix ? Un voyage à Venise. Pour la première fois, Claudia quitte sa Tunisie natale. Le soleil du sud, la gouaille et la réserve méditerranéennes deviennent, malgré elle, son passeport pour Rome et bientôt pour la gloire.
La Tunisie, mémoire vive et miroir du monde
Au sommet de sa carrière, enchaînant chefs-d’œuvre et amours mythiques, Claudia Cardinale n’a jamais oublié d’où elle venait. Devenue icône pour Visconti, Fellini, Bolognini ou Sergio Leone, elle reste fidèle à la petite fille de La Goulette : « Je suis une Méditerranéenne, pas seulement une Italienne. Mon cœur appartient à la Tunisie. » Dans chaque interview, elle glisse une évocation de ses souvenirs : la lumière éclatante de Carthage, la douceur des fins d’après-midi sur la plage, la fraternité de ces années où « les communautés vivaient ensemble, dans le respect, sans jamais se juger ».
Loin des clichés, la Tunisie de Claudia Cardinale n’est ni décor ni carte postale, mais un ancrage intime, un refuge secret. Elle revient à Tunis à plusieurs reprises : d’abord en 1956 pour tourner Les Anneaux d’or, tout juste avant de conquérir l’Italie, puis bien plus tard, en 2022, pour L’Île du pardon de Ridha Béhi, film hommage à son pays natal. Lors de ce dernier tournage, elle confie avoir retrouvé « l’odeur du pain, la chaleur des rues, la lumière unique du matin sur la mer ». Elle avoue qu’elle n’a jamais vraiment quitté La Goulette : « Tout ce que je suis, je le dois à la Tunisie. »
En 2022, la ville la célèbre comme une enfant prodigue : une rue du quartier Petite Sicile porte désormais son nom, « Rue Claudia Cardinale ». Une fresque géante sur les murs de La Goulette salue la beauté méditerranéenne, le regard mélancolique et lumineux de celle qui, de Tunis à Hollywood, n’a jamais oublié ses origines. Ce jour-là, c’est toute une ville qui accueille l’icône, la femme simple revenue sur ses pas : « Ici, je ne suis pas une star, je suis Claudia, la fille du port. »
L’histoire de Claudia Cardinale, c’est celle d’une Tunisie cosmopolite aujourd’hui disparue, mais aussi celle d’une Méditerranée ouverte et fertile, où chaque identité s’invente au croisement de plusieurs mondes. Sa beauté, sa voix chaude et rauque, ses regards farouches et tendres ont emporté le cinéma mondial, mais rien n’aurait été possible sans cette enfance maghrébine, sans cette enfance « déracinée et enracinée à la fois ».
Hier, Claudia Cardinale s’est éteinte à 87 ans, loin de son port natal, mais le cœur toujours tendu vers la mer. La Goulette, Tunis, la Tunisie entière, pleurent leur étoile, celle qui n’a jamais renié le brassage des origines. « Ma Tunisie, c’est mon enfance, la tolérance, l’accueil, la liberté. » Dans ses films, dans son engagement, dans chaque mot prononcé, Claudia Cardinale a porté un peu de cette lumière, de cette insouciance, de cette tendresse méditerranéenne.