Ce film sur Arte – habile mélange d’ images d’archives ,d’ interviews et de captations de spectacles – dresse les portraits hauts en couleurs des divas de l’« âge d’or ». Stars de la chanson, de la danse, les Divas ont révolutionné la société arabe du 20 ème siècle – mais aussi brillamment contribué à son rayonnement .
Une chronique de Sandra Joxe sur ce documentaire de Feriel Ben Mahmoud, A découvrir ou redécouvrir en replay libre accès sur Arte + 7

Ce film, judicieusement rediffusé sur Arte, fait écho à la grande exposition» qui s’est tenue à l’Institut du Monde Arabe en 2021 : il met en lumière toutes les stars féminines qui ont régné sur l’orient des années 1920 à 1970, de Beyrouth à Casablanca, et rayonné bien au-delà de ses frontières. Il en émane une constatation : si le monde arabe du XXe siècle a été dominé politiquement par les hommes, artistiquement, il le fut par les femmes, en particulier… les chanteuses et les danseuses, véritables pionnières de l’émancipation féminine.
Oum Kalthoum, en tête bien sûr, modeste petite paysanne du delta que son père destinait à chanter les sourates du Coran et qui devint mondialement célèbre mais surtout une gloire nationale surnommée « l’Astre de l’Orient ». Le film s’ouvre d’ailleurs sur ses funérailles en 1975, digne d’un enterrement de chef d’état !
« Oum Kathoum, c’est la quintessence de la culture arabe », déclare le musicien Ibrahim Maalouf, dont l’interview passionnante jalonne le documentaire.
L’âge d’Or d’un Orient tolérant
Mais le spectateur découvre bien d’autres artistes, dont le talent fut parfois éclipsé par Oum Kalthoum, c’est ce qui fait le grand intérêt de ce documentaire.
En paticulier Asmahan, la princesse druze qui envoya paître frère et mari pour se consacrer à une carrière aussi brillante que rapide, puisqu’elle est morte à 27 ans (cf. notre article dans Mondafrique : « Asmahan la sublime ») et dont le documentaire exhume quelques superbes archives.
Mais aussi aussi Fayrouz, « la voix de la paix », qui réussit à réunir les Libanais malgré la guerre civile et puis Warda l’Algérienne, une franco-algérienne qui a débuté gamine sur les planches d’un cabaret parisien avant de percer puis d’être muselée par son militaire de mari militaire : elle finira par divorcer et par remonter sur scène, en Algérie, à la demande de Boumédiène, pour célébrer l’Indépendance.
Sans oublier la danseuse Samia Gamal à la sensualité joyeuse jusqu’à Dalida, qui fait une apparition à la fin du documentaire et dont le frère est aussi interviewé.
Autant de voix puissantes et de personnalité émancipées qui évoluaient dans un monde arabe, dominé par le patriarcat et le machisme – certes – mais qui tolérait pourtant encore une certaine forme de liberté et d’audace féminine.
C’était au siècle dernier…
Voix puissantes, Femmes puissantes !

Toutes ces artistes se sont, non sans frictions, plus ou moins affranchies du patriarcat mais pas que : toutes ont incarné l’unité et la fierté arabe pendant un demi-siècle.
C’était les années Nasser. Nasser qui, avec son « féminisme d’État » avec sa politique radiophonique et cinématographique, favorisa un renouveau politique national des années 1920 jusqu’aux années 1970 et engendra l’éclosion d’un véritable âge d’or culturel.
Si les relations étroites d’Oulm Kalthoum avec le chef d’état sont bien connues, la moins célèbre mais néanmoins magnifique Fairuz (qui signifie « turquoise ») a elle aussi su incarner la fierté et l’unité arabes. A 90 ans, la chanteuse demeure aujourd’hui un témoignage vivant – mais lointain, hélas – de la douceur de vivre libanaise.
Cette chanteuse influencée par la musique jazz, a conquis le monde arabe dans les années 1950 avec un répertoire audacieux et puis elle s’est tue durant les années de guerre civile : ne se revendiquant d’aucune chapelle, toutes les confessions ont pu s’identifier à sa musique et elle demeure, encore aujourd’hui, une icône.
Ainsi, lorsqu’en août 2020, Emmanuel Macron s’est rendu à Beyrouth après l’explosion, il choisit, comme pour contribuer à panser les plaies d’un pays violemment meurtri, d’aller rendre visite à Fairouz pour lui remettre la Légion d’honneur : un symbole national.
On se surprend à rêver à cette époque bénie où les voix pouvaient se déployer librement, les corps danser, les cœurs chavirer.