Ce road-movie à travers le Maroc présenté à Cannes

Présenté en sélection officielle au Festival de Cannes 2025, « Sirat » d’Óliver Laxe nous entraîne dans un road-movie à travers le Maroc, où un père et son fils cherchent une disparue – et se retrouvent face à eux-mêmes.

Il est des films qui ne racontent pas une histoire mais qui la traversent, comme on traverserait un désert, une douleur, une vérité difficile à regarder en face. « Sirat », le nouveau long-métrage d’Óliver Laxe, appartient à cette catégorie rare. Sélectionné en compétition officielle au Festival de Cannes 2025, ce film d’une beauté saisissante déploie un récit de disparition qui devient peu à peu une traversée intérieure. Sur les routes poussiéreuses du Maroc, un père et son fils roulent vers une absence, et ce faisant, vers eux-mêmes.

Luis, la cinquantaine, Espagnol aux gestes retenus, apprend que sa fille Marina, étudiante en école d’art, a disparu lors d’une rave party dans le désert marocain. Il décide de partir à sa recherche, accompagné d’Esteban, son fils adolescent, qu’il connaît à peine et dont il semble s’être éloigné depuis longtemps. Ce voyage improbable, qui commence sur fond de silences gênés et de non-dits familiaux, se transforme en un périple initiatique au fil des kilomètres, des paysages et des rencontres.

Le titre « Sirat », qui évoque en arabe le « pont » étroit que traversent les âmes après la mort selon certaines traditions musulmanes, donne immédiatement la clé symbolique du film. Laxe, fidèle à son style méditatif et sensoriel, ne cherche pas tant à résoudre une énigme qu’à faire sentir ce qui se joue dans le lien ténu entre les êtres. Il filme les silences plus que les dialogues, les visages abîmés plus que les mots, les paysages comme des états d’âme mouvants. Le désert marocain devient ici un personnage à part entière, changeant, hostile, sublime, où le réel se trouble et vacille.

La caméra d’Óliver Laxe capte cette vibration particulière : celle d’un monde à la fois spirituel et désenchanté, qui oscille entre le mystique et le banal. À travers Luis et Esteban, il sonde la faille générationnelle, l’incapacité à communiquer, la fatigue d’aimer et la peur de perdre. Le père, rationnel, occidental, fatigué, semble incapable de comprendre ce que Marina est venue chercher dans cette fête en plein désert. Le fils, lui, en marge de tout, est peut-être celui qui comprend intuitivement ce que ce voyage signifie. Le chemin qu’ils empruntent n’est pas linéaire : il bifurque, s’ensable, recule parfois, au gré de leurs émotions et de leurs confrontations.

Mais « Sirat » n’est pas un film bavard. Laxe préfère suggérer que démontrer. Il fait le choix de l’épure, du ralenti, de la contemplation. On pense parfois à Terrence Malick, à Nuri Bilge Ceylan ou à Apichatpong Weerasethakul, mais avec une texture propre, ancrée dans un rapport intime à la lumière, au minéral, à l’effacement. Le montage, ample et précis, laisse respirer les plans. La bande sonore, quasi hypnotique, mêle nappes électroniques, chants traditionnels et bruits naturels, dans une fusion qui évoque le trouble des frontières.

Le Maroc filmé par Laxe n’est ni carte postale ni décor, il est présence, densité, trouble. Il se donne à voir comme un espace de projections, de fantasmes et de confrontations. Loin des clichés orientalistes, le réalisateur laisse la place aux habitants, aux visages anonymes, aux figures secondaires qui viennent ponctuer le récit d’éclats d’humanité : un conducteur de taxi philosophe, un vieil homme qui garde une oasis oubliée, une femme qui parle à la lune. Autant d’apparitions qui brouillent le chemin et nourrissent la dimension quasi métaphysique du film.