Dans un article paru le 4 janvier 2019 et signé par les deux journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme (1), on apprend que François Hollande, alors chef de l’État, avait renoncé en septembre 2015 à ordonner une frappe sur un immeuble de la ville syrienne de Rakka. Or c’est là, apprend-il alors par une note des services français en septembre, qu’Abdelhamid Abaaoud, le cerveau des attaques sanglantes à Paris en novembre 2015, formait les apprentis terroristes. L’ex président français avait renoncé à toute action contre ce fief terroriste en raison des possibles dégâts collatéraux sur les populations civiles de la ville syrienne.
Ce choix aux lourdes implications, qu’on l’approuve ou non, méritait d’être évoqué dans le film « Novembre » qui prétend retracer les conditions dans lesquelles l’État français avait recherché les terroristes après les attentats commis à Paris.
Voici l’extrait de l’article des journalistes du « Monde »
« Tout change à l’automne 2015. Le pouvoir a conscience que l’EI risque d’intensifier ses attaques en France. Il y a eu l’attentat raté en avril 2015, à Villejuif (Val-de-Marne). Puis l’attaque miraculeusement avortée dans le Thalys reliant Bruxelles à Paris, le 21 août 2015, lorsque des passagers sont parvenus à désarmer Ayoub El-Khazzani, un Marocain lourdement armé. « Qu’est-ce qu’on aurait fait si le type avait tué vingt personnes, et qu’on avait su qu’il avait été formé à Rakka ? L’idée, si l’on est menacés par un groupe extérieur, c’est qu’il faut y aller », estime François Hollande une semaine plus tard, le 27 août 2015.
Une tour de Rakka au cœur
A cette période, les informations émanant de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) sont de plus en plus précises. Le nom d’Abdelhamid Abaaoud, un délinquant belgo-marocain ayant rejoint la Syrie en 2013, est communiqué par les services de renseignement dès l’été 2015 à François Hollande.
Le chef de l’Etat, à cette date, est déterminé à frapper l’ennemi au cœur, à savoir en Syrie même, d’où semblent être commandités la plupart des attentats. « Ce qu’on envisage, c’est qu’on repère les lieux et de faire des frappes – sans qu’on soit dans la coalition – ciblées », nous dit-il le 4 septembre 2015 au soir. Un immeuble est au cœur des interrogations : une tour située à Rakka, cette ville devenue la « capitale » de l’EI. C’est là qu’Abaaoud formerait ses djihadistes.
François Hollande, toujours le 4 septembre 2015, nous révèle ceci, dans le but d’expliciter ses décisions, en nous précisant que ses propos ne pourront être exploités tant que le « cas Abaaoud » – dont il ne livre pas le nom – n’aura pas été résolu (1): « Dans cet immeuble, il y aurait un personnage qui forme des djihadistes qui viennent de l’étranger, soit pour en faire des combattants sur place, soit pour retourner en Europe et frapper leur pays d’origine. On pense que c’est l’endroit. Et il y a un personnage, un Belgo-Marocain, qui dirige cela. La DGSI a cette information, on sait où ça se passe, on a donné cette information aux Américains, et nous-mêmes on va regarder ce qu’on peut faire. »
Ce 4 septembre 2015 au matin, le chef de l’Etat a présidé un nouveau conseil restreint de défense. Le relevé de décisions qui suit débute ainsi : « Nous avons acquis des informations recoupées sur le développement d’une cellule terroriste de combattants étrangers basée à Rakka en Syrie, dont l’objectif est de perpétrer des attentats en Europe, et en particulier en France. Son lien avec certaines des dernières attaques commises en France et en Belgique est avéré. » En conséquence, poursuit le document, « nous avons le devoir de réagir à cette menace croissante et d’entraver, dans une logique de légitime défense, l’essor potentiel d’autres projets terroristes nous visant directement ».
Epargner la population civile
Cette fois, des vols de reconnaissance au-dessus du territoire syrien sont jugés « indispensables ». Le groupe aéronaval sera également déployé, en toute discrétion. « Nos informations ne sont cependant pas suffisamment précises pour neutraliser cette menace en évitant tout dommage collatéral », conclut la note.
Au sommet de l’Etat, la cible prioritaire est donc explicitement désignée, en cette fin d’été 2015 : Abdelhamid Abaaoud. Les juges d’instruction chargés de résoudre les affaires de Villejuif et du Thalys ne découvriront pourtant que plus tard l’identité du djihadiste, tué par la police à Saint-Denis, le 18 novembre, cinq jours après les attentats commis au Bataclan et sur des terrasses de cafés parisiens. Fallait-il frapper plus tôt, plus fort, contre Abaaoud, et éviter peut-être le drame du 13 novembre ? Transmettre immédiatement les renseignements aux juges ? Cela n’aurait rien changé : Abaaoud, dans l’optique de coordonner les attentats du 13 novembre, est déjà en Hongrie le 1er août 2015, alors que les services français le croient encore à Rakka.
Quoi qu’il en soit, « on n’a pas frappé cette tour à Rakka, nous explique finalement François Hollande, le 6 novembre 2015. Il y a de la population civile. On s’est fixés comme règle : nous ne frappons pas là où il y a un risque pour la population civile ». Evoquant les assassinats ciblés qu’il a autorisés, le chef de l’Etat indique ainsi, le 6 novembre 2015, une semaine avant les attentats de Paris : « Mais il y a des opérations qu’on n’autorise pas… »
(1) Les deux journalistes ont écrit un livre d’entretiens avec François Hollande où ce dernier s’était livré à un certain nombre révélations sur les assassinats ciblés des services français contre des chefs terroristes à l’étranger.
Le film Novembre montre bien en revanche l’aide apportée à la France par les services marocains pour retrouver les terroristes en fuite, notamment Abdelhamid Abaaoud qui se cachait dans un appartement en Seine Saint Denis (voir l’article ci dessous publié à l’époque)
Comment les services marocains ont sauvé Paris d’un autre attentat