Asmahan ou « la sublime », la Marilyn Monroe du Moyen Orient

Asmahan (« la sublime » en arabe) s’appelait en réalité Amal el Atrache mais ce prénom bien mérité lui fut  octroyé par Daoud Hosni un célèbre compositeur, dès qu’il l’entendit chanter. Un entretien avec Sophie Jabès, romancière et metteuse en scène d’un spectacle qui est un hommage hommage à la diva libano-syrienne…(1) 

Un entretien de Sandra Joxe Sophie Jabès réalisatrice d' »Asmahan », une création 18 janvier 2025, à l’Atrium De Chaville, diffusion prochaine TV

14 juillet 1944. Dans un mystérieux accident de voiture meurt Asmahan, la célèbre chanteuse dont la voix et la beauté séduisent tout le monde arabe. Mais Asmahan, “La Sublime”, était surtout une femme libre et controversée. Princesse druze de Syrie, éduquée au Caire

Fille d’un Druze de Syrie et d’Alia, une princesse Libanaise elle-même chanteuse, sœur du célèbre musicien Farid El Atrache, Asmahan est née en 1917, en pleine tempête, sur un bateau  au bord du naufrage… qui emmenait toute sa famille à Beyrouth.

Curieuse coïncidence, elle est morte noyée dans le Nil à l’âge de 27 ans, dans des conditions accidentelles et mystérieuses qui n’ont jamais été élucidées. Sa Rolls quitte la route et sombre dans le fleuve : on retrouve son corps mais pas celui du chauffeur qui a réussi à s’extraire de la voiture avant la chute : dérapage incontrolé ou crime commandité… on ne saura jamais.

Amsahan était surtout une femme libre, talentueuse, d’une beauté fracassante,  à la (courte) vie agitée qui la fit voyager, chanter dans deux comédies musicales, enregistrer une trentaine de chansons, faire l’espionne et collectionner les amants. Une artiste maudite qui aurait pu rivaliser et même porter ombrage à  Oum Kalthoum… si sa mort prématurée ne l’avait plongée dans l’oubli.

Une résurrection théatrale et musicale

ASMAHAN, STAR A L’ÉCRAN, DANS UNE COMÉDIE MUSICALE DES ANNÉES 40

C’est une véritable « résurrection » théâtrale et musicale » que propose Sophie Jabès avec son spectacle Asmahan créé en Janvier 2025 et dont la captation vidéo sera bientôt diffusée sur Culture Box France 4. En effet, Sophie Jabès a choisi de faire « revivre » la chanteuse, grâce aux interprétations conjuguées de deux comédiennes qui interprètent deux facettes du personnage à deux âges différents.

Une  comédienne – jeune – qui incarne une Asmahan désespérée, en proie au doute, et l’autre plus âgée mais revenue du pays des morts qui parvient par le chant et  la danse lui insuffler… un hymne à la vie !

Le spectacle propose ainsi un étrange duo entre une Asmahan, de 25 ans, cloîtrée dans sa chambre d’hôtel du King David à Jérusalem, et une Asmahan  ressuscitée qui revient sur terre bien des années après sa noyade tragique dans le Nil. Un chœur à l’antique accompagne le duo des deux femmes, ainsi qu’un danseur et des musiciens.

Une amoureuse en perdition

La pièce s’ouvre sur le désespoir de la jeune Asmahan, terrassée par ses démons de toujours et hantée par des désir suicidaires. Loin de sa famille, Asmahan est exilée à Jérusalem. En perdition malgré ses soupirants multiples.

On vient de lui arracher sa petite fille et Nazli,  la mère du roi Farouk, jalouse de sa liaison avec le chambellan royal au Caire, l’empêche de rentrer en Egypte où on lui propose de faire des concerts. Divorcée, esseulée, la jeune Asmahan pense à mourir. Mais de façon  totalement surréaliste, une deuxième Asmahan, – la revenante – lui apparaît pour lui redonner courage et la convaincre de vivre, de se consacrer à son chant. Le Salut par l’Art…

(1) Cette dernière est la nièce de l’écrivain Edmond Jabès, lui aussi émigré en France  lors de la crise du canal de Suez.

NOTRE ENTRETIEN AVEC SOPHIE JABÈS

SOPHIE JABES veut  » ressusciter Asmahan »

 

Mondafrique :Comment avez-vous découvert ce personnage de femme si romanesque ?

 Sophie Jabes : Au cours du printemps arabe… cela fait un certain temps déjà !

Je me suis tournée vers ce passé familial  égyptien, dont mes parents  – des juifs égyptiens émigrés en 1957,comme tant d’autres – m’avaient beaucoup parlé, avec les larmes aux yeux. Mon père n’a jamais fait leur deuil de sa ville natale.

Je voulais depuis toujours faire une sorte de pèlerinage au Caire mais bizarrement chacune de mes tentatives échouait, alors j’ai décidé que j’allais me construire mon propre « Caire rêvé » ! Le Caire de mes ancêtres, celui qui n’existe plus. 

A défaut d’aller découvrir une ville transformée, j’ai décidé de me plonger dans les archives (familiales et autrtes) et j’ai alors découvert toute la richesse des comédies musicales de l’époque. Aszmahan était l’une des stars montantes, avec son physique de vamp et sa belle voix de soprano orientale, elle a joué et crevé l’écran dans plusieurs films à succès des années 40, elle a aussi enregistré des disques. J’ai tout lu, tout écouté, tout vu, je me suis passionnée pour son histoire tragique mais si exaltante. 

Alors j’ai voulu la faire revivre sur scène, car elle a disparu beaucoup trop tôt.

Mon coup de foudre pour Asmahan est évidemment lié à ce passé familial, mais pas que… Je me suis toujours intéressée aux destins chaotiques des femmes artistes libres et rebelles, c’est pourquoi mon travail sur Asmahan vient clore une trilogie qui a commencé il y a des années par un spectacle sur Camille Claudel, la sculptrice, puis un autre sur Artémisia Gentileschi, la peintre.

Mondafrique : A travers Asmahan, c’est tout un pan de l’histoire du Moyen Orient que vous abordez…

Sophie Jabes : L’ État du Djebel druze est un ancien territoire détaché de l’État de Damas en1921 et auquel l’autonomie administrative est accordée en1922 dans le cadre du mandat français en Syrie. Il disparaît en 1936. Asmahan n’aura de cesse de lutter pour l’indépendance des druzes. Elle a notamment participé à l’opération Explorer en 1941 en réussissant à convaincre son peuple de laisser passer les forces Alliées dans le Djebel pour triompher de l’armée de Vichy, en échange d’une promesse d’indépendance qui n’a pas été tenue. L’Egypte, deuxième patrie d’Asmahan, protectorat britannique pendant la première guerre mondiale obtient son indépendance en 1922 en tant queroyaume. La dynastie de Méhémet Ali est renversée par un coup d’État en 1952organisé par Nasser et la république est proclamée.

La pièce se fait écho de ces instabilités et luttes politiques, en résonnance avec la recherche d’identité d’Asmahan et son combat pour la vie.

Mondafrique :Asmahan est un personnage complexe, aux facettes multiples : princesse druze militante pour la cause des siens, chanteuse en vue, amante volage, espionne pendant la 2ème guerre mondiale, femme libre mal mariée de force et mère à qui on retire son enfant… qu’avez-vous choisi de privilégier ?

Sophie Jabes : Oui, la vie d’Asmahan est d’une richesse infinie. Bien-sur le spectacle évoque toutes les zones d’ombres et de lumière de cette princesse druze qui a partagé sa vie entre la Syrie et l’Egypte, qui a beaucoup voyagé, vécu quelques temps à l’hôtel King David à Jérusalem, y brûlant sa vie entre les bras de ses conquêtes britanniques, celle qui fut mal mariée et mère d’une petite fille dont on lui retira la garde,  celle qui rivalisa avec Oum Kalsoum et qui fut accusée d’espionnage pour les Anglais, mais aussi pour la Gestapo … tout cela est évoqué.

Trois axes fondamentaux pour ce texte.

-D’une part, on le sait peu, mais Asmahan était une « enfant de substitution » (tout comme Camille Claudel, d’ailleurs). Un enfant de remplacement en quelque sorte, qui  est arrivée en consolation après la mort de son ainé(e), un enfant qui vient consoler le cœur d’une mère encore en deuil. Et ce statut inconfortable, cette sensation d’illégitimité, voire cette culpabilité laisse des traces. Il explique peut-être les tendances dépressives, voire suicidaires de la chanteuse, malgré ses succès.

– Par ailleurs j’ai voulu rendre hommage à la rebelle, à l’artiste libre, émancipée qui ne se soumet pas aux pressions sociétales ou familiales, même si elle accepte un mariage forcé, elle divorce, elle mène sa vie. Ce qui lui donne cette force c’est le chant. La musique fait partie intégrante du spectacle, avec de merveilleux musiciens sur scène et des compositions originales mais aussi des extraits de enregistrements d’Asmahan, qu’il faut écouter et ré-écouter.

Sa voix a été éclipsée par le succès planétaire d’Oum Khalthoum. Comme beaucoup de femmes rebelles et inclassables, felle init par surgir de l’oubli, en témoignent ces différents spectacles, livres ou archives proposés récemment au public, notamment dans le documentaire « Divas, d’Oum Kalthoum à Dalida » actuellement disponible en replay sur Arte.

une bande dessinée sur la diva

* En attendant la diffusion du spectacle ou sa reprogrammation, plusieurs enregistrements d’Asmahan sont disponibles sur youtube

Asmahan – Ya Habibi Taala Elhaani