Icône de la musique congolaise, Abeti Masikini a marqué l’Afrique par sa voix puissante, son audace et son énergie sur scène. Fille d’un compagnon de lutte de Lumumba, elle a su s’imposer dans un univers masculin, entourée de ses célèbres Tigresses. De l’Olympia au Carnegie Hall de New York, ses concerts ont enchanté les plus belles scènes du monde. Elle laisse le souvenir d’une artiste libre, d’une grande humanité…
Leslie Varenne
« Nom : Masikini, prénom : Abeti, âge : 21 ans, nationalité : zaïroise, profession : artiste de variété, signe particulier : se produit pour la première fois sur la scène de l’Olympia. » C’est ainsi que débute un reportage que lui consacre la télévision française en 1973, où l’on découvre une jeune fille frêle, presque timide, qui découvre Paris. En réalité, au nom de la zaïrisation initiée par le président Mobutu Sese Seko, elle a, comme tous les Congolais de l’époque, africanisé son patronyme afin d’effacer toutes les traces de la colonisation. Elle est née Elisabeth Finant, fille d’un couple congolais-belge. Son père métis, Jean-Pierre Finant, fut un militant anticolonialiste assassiné en 1961, la même année que son compagnon de lutte, Patrice Lumumba. Abeti portera cette blessure, qui la conduira à quitter brusquement sa vie tranquille à Kisangani pour rejoindre la capitale. Ses rapports avec le pouvoir de Kinshasa resteront aussi complexes qu’ambivalents. D’un côté, son histoire personnelle ; de l’autre, elle bénéficiera de la politique d’Authenticité promue par le maréchal Mobutu, qui encourageait la valorisation des artistes nationaux et la promotion de la culture zaïroise. Il lui est même arrivé, parfois, de chanter les louanges du chef de l’État…
Des concerts de légende : l’Europe, l’Afrique et l’Amérique à ses pieds
La rapidité de la transformation de l’artiste est surprenante. Un an après son concert à l’Olympia, sur la scène de Kinshasa, on découvre une femme assurée et un genre musical qui s’affirme. Avec son frère à la guitare et son groupe « Les Redoutables », ils imposent leur nouveau style éclectique mêlant rumba congolaise, soukouss, blues, soul et folk. Mais c’est surtout sa voix puissante qui rend Abeti exceptionnelle : capable de monter très haut dans les aigus, elle aurait pu être une chanteuse lyrique, une soprano, et passer l’instant d’après au mezzo. Son chant module, improvise, s’envole… Elle n’est pas seulement surnommée la « Reine du Soukouss », elle est aussi « la voix d’or du Zaïre ».
Dès son premier album, produit par Pierre Cardin, elle est propulsée sous les projecteurs du monde entier. Elle est la première femme africaine à se produire sur les plus grandes scènes : Carnegie Hall à New York, Apollo Theater à Harlem, Royal Albert Hall à Londres, Arena de Wembley et Zénith de Paris. Elle enchaîne les tubes, de « Bibile » à « Je suis fâchée… » Tous ces succès, elle ne les doit pas seulement à son talent ou à la chance. Dans un documentaire de 2023 qui lui est consacré, intitulé « Une femme et une légende de la musique », ses proches, sa famille et ses anciens collaborateurs mettent en avant son professionnalisme et sa capacité de travail.
Une pionnière
Mais Abeti n’a pas seulement marqué la musique, elle a également bousculé les codes sociaux. Première femme à diriger son propre groupe, à s’imposer dans un univers de musiciens masculins, elle a milité dans la vie comme dans ses chansons pour l’égalité des femmes. Elle est devenue, dans les années 70-80, un symbole d’émancipation et de puissance, ouvrant ainsi la voie à des générations de chanteuses. Abeti, c’était aussi une femme joyeuse qui jouait avec humilité de sa notoriété et se permettait toutes les audaces vestimentaires, tous les changements de look. Elle fut la première à se faire poser des tresses blondes et a ainsi lancé une mode qui perdure encore sur tout le continent africain. « Elle était si connue et admirée que si elle était sortie en pantoufles dans les rues, toute l’Afrique serait sortie en pantoufles dès le lendemain », se souvient, mi-amusé, mi-nostalgique, un de ses musiciens. La rumeur lui prête une aventure avec Mohamed Ali lors de sa venue à Kinshasa pour son combat historique contre George Foreman en 1974. Si la « Reine du Soukouss » a bien participé à l’événement musical « Zaïre 74 » qui accompagnait ce spectacle de boxe mythique, aux côtés d’autres stars comme James Brown, BB King, Miriam Makeba, etc., rien ne prouve ces allégations. Comme dit l’adage, on ne prête qu’aux riches ! En revanche, à ses côtés, et depuis ses débuts, il y avait la présence constante d’un homme-orchestre : époux, mentor, impresario comme on disait à l’époque, père de ses quatre enfants. Du début à la fin, le Togolais Gérard Akueson sera un pilier discret et un artisan de ses succès.
Les Tigresses : les danseuses choristes
Il n’est pas possible d’écrire sur Abeti sans évoquer ses célèbres danseuses, dénommées les Tigresses. Véritables amazones de la scène, elles accompagnaient la chanteuse dans des chorégraphies spectaculaires mêlant danse africaine et contemporaine, vêtues de costumes flamboyants. Leur beauté et leur énergie contagieuse faisaient d’elles des femmes très courtisées au cours de leurs tournées africaines. Mais tantie Abeti veillait sur elles… Une nouvelle fois, « la voix d’or du Zaïre » a innové : ses Tigresses inspireront de nombreuses formations ultérieures.
Inoubliable
À 39 ans, après une longue maladie, Abeti Masikini a définitivement quitté la scène. Mais elle avait néanmoins eu le temps de gravir jusqu’au sommet de la montagne. Elle a certes laissé un héritage musical, mais elle a aussi légué à son pays, le Congo, l’image d’une tantie rayonnante, talentueuse et inoubliable…
Discographie des dix plus grands titres d’Abeti Masikini :
Bibile
Mutoto Wangu
Aziza
Fulani
Likayabo
Kiliki Bamba
Mwane Muke Wa Miso
Kupepe Suka
Motema Pasi
Je suis fâchée