À la Fashion Week de Lagos, la mode nigériane affirme sa créativité et son engagement en faveur de la durabilité. Entre matériaux éco-responsables, patrimoine réinventé et audace stylistique, les créateurs africains imposent leur vision et bousculent les codes de l’industrie mondiale.
Au cœur de Lagos, métropole bouillonnante et capitale culturelle du Nigeria, la Fashion Week s’est muée en véritable manifeste pour une mode africaine à la fois audacieuse, responsable et profondément enracinée dans ses traditions. Pendant quatre jours intenses, créateurs, mannequins, amateurs de mode et célébrités locales ont célébré l’innovation et la fierté d’un continent qui ne cesse de surprendre l’industrie mondiale.
Dans l’atelier lumineux d’Éki Kéré, les machines à coudre s’activent jusqu’à la dernière minute. Abasiekeme Ukanireh, fondatrice de la marque lancée en 2020, orchestre les ultimes retouches avant le grand défilé. Son mantra : aller toujours plus loin en matière de durabilité. Cette année, l’accent est mis sur l’indigo et des teintures issues de la noix de kola, dans une volonté d’explorer les richesses naturelles du Nigeria. Depuis ses débuts, Éki Kéré se démarque par son usage innovant du raphia et de boutons façonnés à partir de coques de noix, faisant la part belle aux matériaux locaux et renouvelables.
Lors de son défilé, une trentaine de mannequins ont fait sensation dans des tenues inspirées des mariages traditionnels d’Ikot Ekpene, la « ville du raphia » dans l’État d’Akwa Ibom, dont la créatrice est originaire. Ici, la dentelle cède la place au raphia, au carton ou au lin, preuve qu’élégance et éco-conscience peuvent marcher main dans la main.
Un écosystème qui incite à la responsabilité
À Lagos, la durabilité n’est pas un simple slogan : elle devient un véritable critère de sélection. « La Fashion Week encourage les jeunes créateurs à penser de manière durable, car ils savent que pour réussir ou simplement participer, ils doivent adopter une approche responsable », affirme Abasiekeme Ukanireh.
Cette philosophie est portée par Omoyemi Akerele, fondatrice de l’événement et grande prêtresse de la mode nigériane. Son programme incubateur « Green Access », lancé en 2018, accompagne et forme les jeunes créateurs africains à repenser leurs collections à chaque étape, du choix des matières à la confection. Son ambition : démontrer que la créativité africaine a sa place sur la scène mondiale, tout en étant un moteur de changement systémique et de fierté culturelle.
Mais la sensibilisation ne s’arrête pas aux podiums. À travers son initiative Swapshop, Omoyemi Akerele encourage aussi les consommateurs à échanger leurs vêtements inutilisés, luttant ainsi contre la surconsommation. Un geste salué par Danielle Chukwuma, commerçante séduite par l’idée de renouveler sa garde-robe sans céder aux excès du fast fashion : « C’est super de pouvoir troquer des vêtements avec d’autres passionnés de mode », confie-t-elle.
À l’avant-garde de l’éco-innovation
La mode durable est aussi l’apanage de talents venus d’autres horizons du continent. Ria Ana Sejpa, créatrice indo-kényane à la tête de la marque Lilabare, a présenté 25 silhouettes aux couleurs naturelles, créées à partir de fibres d’ananas, de bananier ou de marc de café. Pour elle, chaque décision créative doit tenir compte de l’écosystème et valoriser les ressources locales.
Même engagement chez Florentina Hertunba, fondatrice de la marque nigériane éponyme. Elle privilégie tissus traditionnels, emballages biodégradables et recyclage, comme le prouve une robe réalisée à partir d’un ancien tissu transformé en fil. Pour elle, la clé du changement réside aussi chez les consommateurs, qu’elle appelle à résister à la tentation d’acheter toujours plus.
« L’un des plus grands dangers, c’est cette culture de la surconsommation », s’inquiète-t-elle. Une inquiétude partagée alors que la fast fashion produit 92 millions de tonnes de déchets textiles par an, dont une partie finit dans les décharges africaines. À cela s’ajoute le poids environnemental de la mode, responsable de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre, selon l’ONU.
Mais la mode nigériane ne se contente pas d’être durable : elle s’affiche aussi inclusive et célébrant la diversité. Kanyinsola Onalaja, étoile montante installée à Londres, a ouvert la Fashion Week avec un défilé flamboyant. Ses robes perlées et brodées, inspirées des scarifications nigérianes et déclinées du XS au 4XL, symbolisent une mode qui embrasse toutes les morphologies.
« Pour moi, la femme Onalaja est forte, résiliente, audacieuse et unique », déclare la créatrice de 33 ans, dont les œuvres réinventent l’adiré, tissu traditionnel yoruba teint à l’indigo, à travers des matières tridimensionnelles. « J’ai toujours eu du mal à trouver des vêtements qui me mettaient en valeur. Aujourd’hui, je veux offrir cette possibilité à toutes les femmes, peu importe leur taille ou leur âge », confie-t-elle, fière de promouvoir une représentativité élargie.
Un rayonnement international assumé
Le talent des créateurs nigérians séduit désormais les tapis rouges du monde entier : Kanyinsola Onalaja habille des célébrités américaines comme Jennifer Hudson ou Chloe Bailey, tandis que Diana Ross a fait sensation au Met Gala de New York en robe Ugo Mozie. Tems, Burna Boy ou Ayra Starr, stars de l’afrobeats, portent également haut les couleurs africaines grâce à Ozwald Boateng.
Malgré cette reconnaissance mondiale, la nouvelle génération de stylistes affirme haut et fort son identité. « J’assume pleinement mon héritage, avec tout ce qu’il comporte de chaos, de beauté et de vitalité. Je n’ai plus honte de cela », affirme Onalaja avec un sourire rayonnant.
L’édition 2025 de la Fashion Week de Lagos s’impose donc comme un symbole d’une Afrique fière, inventive et responsable. En plaçant la durabilité, l’inclusivité et l’identité culturelle au cœur de la création, les stylistes africains redéfinissent les contours de la mode mondiale et démontrent que le futur de la haute couture pourrait bien s’écrire, lui aussi, à Lagos.
Source : AFP
			
		
























 
 


