Condamné à deux mois de prison en mai pour « outrage » et emprisonné à Zagora, le docteur Labbas Sbaï, double national suisse et marocain, a été violemment frappé par les gardiens, réduit quelques heures à un état semi-comateux. Il a été libéré le lundi 30 juin grâce à une intervention des autorités de Rabat intervenues en faveur de ce membre d’une grande famille sahraouie amie du Roi Mohamed V.
Un article de Ian Hamel
Le docteur Labbas Sbaï, marié à une Suissesse alémanique, qui a exercé dans plusieurs hôpitaux de la Confédération, à Lausanne, Fribourg, Berne, Neuchâtel, est revenu dans les années 2000 dans la région de M’hamid El Ghizlane, dans le sud marocain, près de la frontière avec l’Algérie où il a été emprisonné sans raisons et mal traité.
C’est une région déshéritée depuis la fermeture de la frontière entre les deux pays. Un panneau célèbre, au centre de la ville de Zagora, indique « Tombouctou 52 jours ». Mais si plus rien ne passe officiellement, en revanche, les trafics se sont multipliés dans la région. Qu’il s’agisse de cigarettes, de drogues, de chameaux.
L’objectif premier de Labbas Sbaï est de développer un tourisme écologique. Il s’agit pour lui de faire renaître l’oasis d’Oum Lâalag, appartenant à sa famille, situé à une cinquantaine de kilomètres à l’ouest M’hamid El Ghizlane. Il crée une réserve naturelle pour accueillir des gazelles, des fennecs, des perdrix du désert, et même des chacals, « à condition qu’ils ne s’attaquent pas aux chèvres ». « Dans les années soixante-dix, le lac Iriki, long de trente kilomètres et large de vint s’est asséché en quelques mois. Les oiseaux migrateurs ont disparu », raconte le docteur Sbaï que nous avions rencontré pour la première fois en 2010.
Mauvais traitements
Le problème, c’est que le chirurgien ne supporte pas les multiples trafics qui prospèrent avec la bénédiction des autorités locales, des élus, du caïd et du procureur. Il est arrêté une première fois en 2006, condamné à six mois de prison, pour « outrage à magistrat » et « désordre dans un lieu public ». Sous la pression de la population. Il est rapidement libéré. Nouvelle arrestation en 2010. Il quitte la prison après une grève de la faim. Par centaines, les habitants de la région manifestent devant le tribunal, puis devant la prison.
Aujourd’hui, âgé de 67 ans, Labbas Sbaï est toujours aussi pugnace. Et la justice locale aussi désireuse de le faire taire. Cette fois, le médecin a pris la tête d’un comité de vigilance des nomades de la région afin de dénoncer les expropriations de terres au détriment de certaines tribus et les vols de chameaux. Il est jugé le 26 mai 2022 pour « outrage » et condamné à deux mois de prison ferme. Tandis qu’à l’extérieur du tribunal, la population crie : « Nous sommes tous des Labbas », et : « Réveillez-vous, la corruption est quotidienne et à tous les niveaux ».
Mais le 27 mai, la situation dégénère. Ibrahim, un de ses frères qui habite au Maroc, reçoit par téléphone un appel désespéré de Labbas : « On m’a frappé, on m’a frappé, j’ai perdu conscience deux fois … Ici c’est Guantanamo, ici c’est Abou Ghraib… ». Le médecin se plaint de très violents maux de tête. Ali Sbaï, un autre de ses frères, ancien haut fonctionnaire à Genève dans une organisation internationale, quitte la Suisse pour Zagora. Il est reçu le 31 mai par le directeur de la prison, qui lui assure que Labbas va bien, bénéficiant d’une chambre individuelle, avec douche et télévision. La version du prisonnier est très différente : il raconte à son frère qu’il a été ceinturé et tabassé dès le lendemain de son incarcération pendant plus d’une demi-heure. Il a de violentes douleurs à la tête et réclame un scanner. Le directeur de la prison est contraint de reconnaître que le chirurgien a bien reçu des coups, « mais involontaires, dans un malentendu avec un gardien […] On a examiné l’incident et on en a conclu que ça ne nécessitait pas une poursuite… », assure-t-il à Ali Sbaï.
Libération du médecin le 20 juin
Depuis l’état de santé de Labbas Sbaï n’a cessé de se dégrader. Le 14 juin, Ibrahim découvre son frère porté par quatre gardiens, « dans un état de semi-coma, le regard hagard, sans prononcer un mot. Il n’arrive pas à bouger ni à réagir à ce qu’il voit ». Les gardiens l’aidaient à se maintenir sur une chaise, « mais il est tombé par terre, sans pouvoir se relever ». Samedi dernier, Ali Sbaï, embarque sur un vol Genève-Marrakech, en compagnie de Selim et Amina, les deux enfants du médecin, de son petit-fils Elia, sept mois, et de Samuel Lehmann, le compagnon d’Amina.
Coup de théâtre lundi dernier, Ali Sbaï adresse un sms à Mondafrique pour annoncer que son frère a été libéré. « Il est très faible. Nous allons le transporter dans un hôpital à Marrakech pour qu’il soit enfin soigné ». Il précise que l’un des anciens codétenus de Labbas Sbaï a témoigné : il a été témoin de très violentes gifles qui ont provoqué la chute du médecin au sol. Il aurait ensuite été amené dans une autre pièce où il aurait été tabassé. « Quand il a été ramené en cellule, il était dans un état lamentable », raconte-t-il.
L’intervention de la Suisse
L’ambassade de Suisse à Rabat n’est pas restée inactive considérant qu’il est important que « les conditions de détention soient dignes et que les garanties procédurales et les droits de la défense de la personne concernée soit respectés ». Elle est intervenue auprès du Ministère des Affaires étrangères, de la coopération africaine et des Marocains résidant à l’étranger du Royaume du Maroc, et à deux reprises auprès de la Délégation générale à l’administration pénitentiaire et à la réinsertion (DGAPR)
De son côté, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) à Berne nous a précisé qu’il a, bien évidemment, connaissance du cas de détention de M. Sbaï, « et est actif dans le cas de la protection consulaire. Le DFAE est en contact avec M. Sbaï et sa famille ainsi qu’avec les autorités locales ».
Une grande famille sahraouie
Mais apparemment, Rabat a repris le dossier en main. Si l’état de santé du docteur Sbaï continuait de se dégrader, les conséquences pourraient être très graves non seulement pour les autorités locales, mais aussi pour l’image du Maroc. En effet, le chirurgien appartient à une grande famille sahraouie, issue du Sahara occidental. Or cette ancienne colonie espagnole unie au Maroc depuis « la marche verte » de 1976 est toujours revendiquée par la République arabe sahraouie démocratique (RASD), connu sous le nom de Front Polisario, et soutenue par l’Algérie.
Or Si Labbas Sbaï ne milite pas pour le Polisario. Son père était même un proche du roi Mohamed V. Son emprisonnement est juste le résultat de l’emprise de petites maffias locales qui portent tort inutilement à l’image du Maroc.