Soudan, Amnesty accuse la partialité de la France 

En accusant la France de violer l’embargo sur les armes au Soudan, Amnesty international lance un pavé dans la mare. L’ONG lève ainsi le voile sur la position ambigüe de Paris dans un conflit qui déstabilise son allié tchadien.`

« Nos recherches montrent que des armes conçues et fabriquées en France sont utilisées activement sur le champ de bataille au Soudan » a déclaré la présidente d’Amnesty International France, Agnès Callamard le 14 novembre. En effet, selon l’ONG un système de défense fabriqué par les groupes français KNDS et Lacroix équiperait les véhicules blindés émiratis utilisés par les Forces de soutien Rapide (RSF). Cette milice dirigée par Mohamed Daglo, dit Hemedti combat depuis avril 2023 le général Abdel Fattah al-Burhan à la tête de l’armée soudanaise. Ces équipements vendus par Paris et utilisés par une des parties au conflit contreviennent aux embargos de l’Union européenne sur les livraisons d’armes au Soudan décrété en 1994 et à celui des Nations Unies sur la région du Darfour en vigueur depuis 2004.

Les amis de mes amis sont mes amis !

Ces systèmes de défense sont livrés indirectement aux RSF via les Emirats arabes unis, fabricant des blindés et principal soutien d’Hemedti. Sauf que comme le rappelle Amnesty International «  la France est tenue  par les lois internationales, régionales et nationales d’interdire l’exportation d’armes lorsqu’il existe un risque substantiel que ces armes puissent être utilisées pour commettre ou faciliter une violation grave des droits de l’homme ou du droit humanitaire. »

Or, dans le cas du Soudan, ce ne sont pas des risques mais des faits. Si les deux parties se livrent à des exactions, les RSF d’Hemedti sont de très loin les pires. Ils sèment la mort et la désolation partout dans le pays, principalement dans leur fief du Darfour. Ils utilisent le viol comme une arme de guerre. Ses abus sexuels ne concernent d’ailleurs par seulement les femmes, les hommes les subissent aussi. Bien entendu, Paris ne l’ignore pas. Mais que peut-elle refuser à son allié émirati, qui au passage est aussi le plus grand acheteur d’armement français ?  Avec plus de 21 milliards de dollars de commandes entre 2013 et 2022, Abou Dabi a permis à la France de rester le 3ème exportateur d’armement au monde.

Est-ce la raison pour laquelle dans toutes les instances internationales, les diplomates français se contentent d’appeler à un cessez-le-feu sans jamais ne dénoncer ni même seulement mentionner les Emirats arabes unis qui jouent pourtant un rôle primordial dans ce conflit dévastateur ?

Par ailleurs, selon Africa Intelligence du 13 novembre, un autre grand allié de Paris, le Rwanda de Paul Kagamé, apporte également son appui à Hemedti. La présence de militaires rwandais en République centrafricaine frontalière du Soudan et du Tchad aide…

Paris entre le marteau et l’enclume

Comme le rappelait Mondafrique le 24 octobre dernier, le président tchadien, soutient lui aussi Hemedti et a fait de son pays un base arrière des RSF. Une grande partie des équipements, véhicules, armement ainsi que le carburant qui alimente la milice transite par le Tchad. Au passage, Mahamat Idriss Déby viole également et allégrement les embargos, sans que personne ne s’en offusque. Les militaires français encore présents au Tchad, notamment ceux basés à Abéché, ville proche du Soudan ne voient rien passer. Cette cécité volontaire s’explique-t-elle seulement par la volonté de Paris de ne pas s’ingérer dans les affaires intérieures de son dernier allié au Sahel ?

Sans évoquer les considérations éthiques, morales, ni même le respect du droit international, il n’est pas certain que cette position, à minima, ambigüe de Paris serve ses intérêts. D’une part, le rapport de force sur le terrain tourne en faveur des forces du général Al-Burhan qui représente par ailleurs l’Etat soudanais.   D’autre part, la guerre au Soudan fragilise le Tchad. En effet, outre les centaines de milliers de réfugiés que ce pays accueille, le soutien de Mahamat Déby à Hemedti génère des tensions tant sur le plan de la politique intérieure qu’au sein de l’institution militaire. Pour la France qui compte sa présence militaire dans le pays, la déstabilisation de Ndjamena serait une nouvelle épine dans le pied. Une de plus…