Les Beurs entrent à Paris en vainqueurs le 3 décembre 1983. Le défi d’une marche contre le racisme, lancé depuis la cité des Minguettes à Vénissieux (Rhône), a tenu la route. La France entière découvre l’existence de ces cités maudites où a grandi la génération sacrifiée des fils et filles d’immigrés. Nous voici quarante ans plus tard
S’il ne fallait garder qu’une image de cette journée historique, ceserait la silhouette anguleuse de Christian Delorme, prêtre devant l’Éternel, Rufus parmi les Beurs, soutenu au terme de ce millier de kilomètres par Toumi, le musulman, et Youda, le juif. Et eux trois, et les trente-deux marcheurs, portés à la fin de la manifestation par une foule grave, immense et silencieuse jusqu’au podium monté à leur intention. Et là, une sono à faire vaciller la tour Montparnasse, des kilos de trac pour Nassira, ses notes devenues soudain illisibles, et les formules chocs de Farouk, le poète de la troupe, qui s’adresse à Paris avec des accents de Malraux.
Certains noms, Toufik ou Laïd, évoquent la folie meurtrière qui les a fauchés dans la fleur de l’âge.«Ils ont tué un jeune Algérien!», hurle la délégation de Bordeaux. La mémoire des Beurs s’inscrit en effet dans le Bordeaux-Vintimille, ce train où un jeune Algérien fut exécuté par trois apprentis légionnaires ivres de haine, en novembre 1983. Le drame donna un retentissement à la Marche lancée dans l’indifférence générale. L’horizon des cités, ce sont aussi les victimes des petits Blancs excédés ou racistes. Elles avaient toutes le teint basané ou le cheveu crépu.
Légitime défense brandie par les meurtriers ou passé judiciaire plombant les victimes, la justice française relaxa trop souvent les adeptes de la 22 Long Rifle. La marche du 3 décembre 1983 fut le refus d’une sorte de banalisation qui se mettait en place. «Rengainez, on arrive, la chasse est terminée.»
Les Beurs à l’Élysée
Dans la foulée, huit marcheurs sont reçus à l’Élysée. D’emblée, François Mitterrand s’adresse à Toumi Djaidja, la figure charismatique de la marche, qu’il avait rencontré dans la banlieue lyonnaise l’été précédent. «Nous avions rendez-vous, eh bien nous y voilà.» Le sujet central de l’entretien fut cette justice à deux vitesses plus clémente pour les beaufs meurtriers que pour les petits délinquants arabes. Le chef de l’État se dit très «impressionné» par cette situation. «Instruction, promet-il, sera donnée aux parquets de redresser cette jurisprudence.» Le prêtre qui fut l’inspirateur de cette marche, Christian Delorme, plaida par trois fois la délivrance d’une carte de résidence de dix ans. Depuis des années, les associations de défense des immigrés réclamaient une telle mesure susceptible de mettre fin à la précarité
de cette population.
La petite troupe, ce 3 décembre 1983, arracha au chef de l’État ce que des années de lutte militante n’avaient pas obtenu
« Regards croisés de photographes sur la Marche »
Voici un film qui revient sur ce 3 décembre 1983 à partir d’entretiens avec des photographes militants et/ou professionnels qui ont couvert la Marche. On y retrouve Pierre Ciot (Marseille), Joss Dray (Paris), Amadou Gaye (Paris), Farid L’haoua (Vienne -Lyon) et Mustapha Mohammadi (Marseille-Aix) qui donnent à (re)découvrir leurs photos.
Chacun y raconte comment il en est venu à suivre la Marche, explique ses motivations et sa démarche, et répond à la question sur une possible mutualisation des photos.
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Les Médias et la Marche » – Mogniss H. Abdallah revient par ailleurs dans cet article sur le désintérêt initial des mass-médias pour la Marche et sur le regroupement de plusieurs médias libres (radios libres, photographes, Sans Frontière, bulletins associatifs, collectifs ad’hoc, agence IM’média etc.) pour couvrir la Marche et pour donner à entendre la parole de ses protagonistes.
A lire sur le site du Musée national de l’histoire de l’immigration :