Chaque année, les deux régimes prétendent honorer la mémoire des victimes algériennes jetées dans la Seine par la police française. Et chaque année, ils échouent à affronter la vérité.
En France, la reconnaissance reste partielle, soigneusement calibrée pour ne pas ouvrir la voie à la justice. Emmanuel Macron a parlé de « crimes inexcusables », sans jamais prononcer les mots « crime d’État ». Les archives, théoriquement accessibles depuis 2021, demeurent verrouillées par des procédures administratives et des lenteurs bureaucratiques. Les chiffres des victimes restent incertains parce que l’État français refuse toujours une enquête indépendante. Tant que Paris ne lèvera pas tous les verrous de ses archives et ne permettra pas un examen judiciaire complet, le 17 octobre 1961 restera un crime couvert d’un vernis mémoriel.
De l’autre côté de la Méditerranée, le pouvoir algérien instrumentalise la mémoire sans jamais la servir. Il organise des cérémonies, mais garde lui aussi ses archives sous clé. Les chercheurs indépendants y sont empêchés d’enquêter librement. Le régime préfère utiliser le souvenir du 17 octobre pour alimenter un discours victimaire et détourner l’attention de sa propre absence de transparence sur l’histoire nationale. Commémorer sans ouvrir les archives, c’est perpétuer le silence qu’on prétend briser.
Cette année, la contradiction a pris une tournure absurde. Un sit-in revendicatif pacifique, organisé par le collectif Libérons l’Algérie pour exiger l’ouverture des archives et la vérité complète sur les événements du 17 octobre, a été interdit au pont Saint-Michel — lieu même du massacre — alors que des cérémonies officielles et folkloriques y étaient autorisées. Le préfet de police a justifié son interdiction par un improbable « risque de chute dans la Seine », selon l’ordonnance du tribunal administratif de Paris du 17 octobre 2025.
Pendant que les uns déposaient des gerbes sous protection, d’autres étaient écartés au nom de la sécurité. Ce contraste illustre parfaitement la politique mémorielle française : commémorer les morts, mais empêcher les vivants de parler d’eux.
Les deux États pratiquent la même stratégie : une mémoire sous contrôle, sans vérité ni justice. Tant que la France craindra la reconnaissance pleine et que l’Algérie refusera la transparence, la Seine restera un cimetière sans noms, et la mémoire du 17 octobre un instrument politique, pas un devoir d’histoire.