Les personnes LGBT+ privées de l’asile

La répression étatique des personnes LGBT+ , expliquent nos confrères du site « The Conversation », s’accentue dans plusieurs pays du monde, comme le montrent les exemples récents du Ghana, de l’Irak, ou encore de la Russie.

Confrontées à un climat d’hostilité multiforme (condamnations juridiques, discriminations variées, réprobation sociale et isolement, agressions voire mises en danger de mort), certaines d’entre elles quittent leur pays dans l’espoir de se mettre en sécurité ailleurs. Une partie se rend notamment en Europe et y initie une demande d’asile au motif spécifique de persécutions ou craintes de persécutions en raison de l’orientation sexuelle ou de l’identité de genre (OSIG).

En l’absence de statistiques officielles sur les motifs des demandes de protection, il est aujourd’hui extrêmement difficile d’estimer le nombre de personnes demandant l’asile OSIG. En 2011, un rapport proposait une estimation aux alentours de 10 000 demandes d’asile OSIG annuelles au sein de l’Union européenne.

En France, les rapports d’activité d’associations spécialisées peuvent donner des indications chiffrées, permettant de rendre compte de l’augmentation du nombre de ces demandes. Ainsi, alors que l’ARDHIS avait accompagné 79 nouveaux demandeurs d’asile OSIG en 2010, ce chiffre culmine à 821 en 2018. Toutefois ces données restent difficiles à mobiliser tant elles ne permettent pas de s’approcher d’une estimation globale : elles renseignent uniquement sur le nombre de personnes accompagnées par une association, n’incluant donc ni les personnes suivies par d’autres associations et surtout ni celles qui réalisent leur demande d’asile sans aucun suivi associatif quelconque.

 

De plus, ces chiffres dépendent également de la structure associative elle-même et des suivis qu’elle est en mesure de réaliser, la conduisant parfois à ne pas pouvoir proposer un suivi à des personnes qui la sollicitent. Ces données, même si elles offrent une vision sous-estimée de la réalité, rendent cependant bien compte de l’augmentation de cette demande d’asile au cours des dernières années.

Pourtant, alors que l’octroi du statut de réfugié par des pays européens à des minorités sexuelles et de genre persécutées peut renforcer la rhétorique de « l’ordre sexuel du monde », la migration vers un pays de l’Occident n’est en rien un synonyme intrinsèque de « libération » pour les exilés LGBT+.

L’enquête ethnographique que j’ai menée de février 2017 à février 2020 auprès de demandeurs d’asile au titre de l’orientation sexuelle ou identité de genre en région parisienne, dans le cadre d’une recherche doctorale, montre les difficultés pour accéder au statut de réfugié, en plus des nouvelles formes de marginalisations multiples éprouvées dans le pays d’arrivée.

« Je connaissais l’asile politique, pas l’asile pour les homos »

Le recours à une demande d’asile OSIG ne s’inscrit pas dans un processus linéaire. Pour celles et ceux qui arrivent en Europe, premier obstacle de taille à surmonter pour réussir à se mettre en sécurité dans un contexte global de durcissement des frontières et des politiques migratoires, se tourner vers cette procédure n’est en rien automatique.

Tout d’abord parce que certaines personnes ignorent qu’elles peuvent demander l’asile en raison de persécutions liées à l’OSIG, associant spontanément et uniquement la demande d’asile à la fuite de conflits ou à la répression politique.

Ainsi, alors que ce motif de demande d’asile est aujourd’hui stabilisé et bien cadré par les institutions, l’accès à l’information demeure discriminant dans l’obtention du statut de réfugié. Les personnes engagées dans des activités militantes dans leur pays, les personnes dotées d’un important capital culturel ou celles qui s’inscrivent dans des réseaux de connaissances transnationaux favorisant la circulation des informations sont les plus à même de connaître la possibilité de demander l’asile en tant que personne LGBT+ persécutée à leur arrivée en France, parfois même avant leur départ. D’autres en revanche ne sont pas informées de cette possibilité.

De plus, une fois l’information à disposition, plusieurs craintes subsistent. Pour celles et ceux qui n’ont pas eu d’autre choix que d’arriver irrégulièrement sur le territoire français, aucune voie légale ne s’étant offerte à elles et eux pour quitter leur pays ou devant le faire dans l’urgence, entamer une démarche administrative auprès des autorités françaises peut être source d’inquiétude.

En outre, en lien avec les expériences de LGBTphobies passées et parce que la France n’est pas toujours associée à un espace de protection et de liberté pour les minorités sexuelles et de genre (puisque certaines personnes n’ont par exemple pas connaissance des législations reconnaissant des droits aux personnes LGBT+ dans le pays), l’idée de devoir évoquer à une administration son homosexualité, bisexualité ou transidentité peut être inhibitrice. Adama [1], réfugié ivoirien revient sur ses réticences initiales à demander l’asile :

« J’ai hésité, j’ai plusieurs fois hésité. Parce que j’étais un peu réticent, j’ai eu peur parce que je connaissais pas le système, je sais pas si je partais le dire, peut-être parti expliquer à la préfecture, celui qui sera en face de moi va me chasser. Parce que je suis gay, parce qu’on est beaucoup repoussé quoi, rejeté. Donc avec le conseil de Fabrice [bénévole de l’ARDHIS], que je ne crains rien, j’y suis allé. »

Or, tous ces éléments qui retardent le dépôt d’une demande d’asile ne seront pas sans effet sur la procédure et le quotidien des requérants. Le dépôt d’une demande d’asile au-delà de 90 jours après l’arrivée en France, délai réduit par la loi asile et immigration de 2018, conduit en effet au placement en procédure accélérée par la préfecture, impliquant entre autres un traitement plus rapide de la demande d’asile et une possibilité de se voir refuser les conditions matérielles d’accueil (Allocation pour Demandeur d’Asile et proposition d’hébergement) par l’Office français de l’immigration et de l’intégration.

« Je suis lesbienne, Madame. Imagine, elle me croit pas ? » : la frontière de la crédibilité

Une fois la demande d’asile initiée, encore faut-il réussir à être reconnu réfugié par l’Office français de protection des réfugiés et des apatrides (OFPRA) ou par la Cour nationale du droit d’asile (CNDA) en cas de recours formulé suite à un premier refus prononcé par l’OFPRA.

Lors d’entretiens avec les institutions, les demandeurs d’asile doivent convaincre du bienfondé de leur demande, mais aussi de la « véracité » de leur propos dans un contexte de suspicion généralisée à leur égard.

Dans le cas des demandes d’asile OSIG, c’est alors non seulement la crédibilité des risques de persécutions en cas de retour qui est en jeu, mais aussi la crédibilité de l’orientation sexuelle même des requérants ou de leur identité de genre.

Car si au cours de ces dernières années, les pratiques d’évaluation des demandes d’asile OSIG se sont formalisées pour parer à certaines dérives dans la façon d’ »évaluer » l’OSIG, ces ajustements ont entériné le fait d’avoir à se prononcer sur la crédibilité de l’OSIG des requérants.

Interrogés sur les persécutions subies, mais aussi sur la prise de conscience de leur OSIG minoritaire, sur leurs relations de couples ou encore sur les précautions déployées pour dissimuler au quotidien leur OSIG, les requérants doivent fournir un récit de vie répondant à certaines normes permettant de paraître crédible comme personne LGBT+.

Cela passe tout d’abord par un mode d’énonciation du discours particulier transversal à l’ensemble des demandes d’asile, à savoir un récit cohérent, incarné, chronologiquement structuré et suffisamment détaillé pour attester de son « authenticité » : une modalité de discours qui ne va déjà pas de soi, qui plus est lorsqu’il s’agit d’aborder des sujets aussi intimes que l’OSIG, comme en témoigne Amir, originaire du Maroc.

« Tu sais parfois c’était compliqué pour moi, il y a des choses je sais même pas comment le dire en arabe. […] Du coup, la question sur la première fois que j’ai senti que je suis gay. Ben depuis que je suis né, j’ai jamais eu de relations avec des filles, j’ai eu que des relations avec des mecs. Et puis je sais pas, j’ai senti comme ça depuis que je suis enfant, à l’âge de 14 ou 15 ans. […] La question c’est comment savoir que je suis gay. Ben comment ? Tu veux que je ramène un mec et que je couche avec devant toi ou quoi ? J’essaye de dire tout ce que je sais par rapport à mon homosexualité, j’essaye de raconter tout ce qui restait dans ma mémoire depuis l’enfance, et les relations que j’ai passées avec les mecs. Et elle, elle était pas convaincue en fait. »

À cela s’ajoute une série de représentations des institutions à l’aune desquelles est considérée la « crédibilité » de l’OSIG des requérants. En 2020, une étude soutenue par le Défenseur des droits pointait la persistance des stéréotypes et des visions eurocentrées de l’homosexualité dans l’évaluation de ces demandes d’asile.

Par ailleurs, la lecture victimisante des réfugiés LGBT+ et essentialisante des pays d’origine conduit à une lecture appauvrie de la réalité qui restreint le registre de crédibilité. La tendance à attendre des récits de vie marqués par la souffrance ou le trouble à la découverte d’un « sentiment de différence » laisse peu de place pour d’autres formes de récits de soi.

De même, la récurrence de la thématique des « précautions » et des « prises de risque » montre le fragile équilibre sur lequel repose la crédibilité des requérants : d’un côté il leur est nécessaire de rapporter suffisamment d’expériences personnelles pour convaincre de la véracité de leur OSIG, de l’autre il leur faut en même temps en justifier les conditions de possibilité au sein d’un environnement appréhendé comme uniformément hostile et où il apparait alors peu probable qu’elles puissent avoir lieu.

Paradoxalement, être en mesure de produire un récit de soi qui permet de paraitre authentique et crédible nécessite alors dans la plupart des cas un travail de préparation du discours en amont et de recadrage des expériences personnelles.

De telles attentes normatives accroissent les inégalités entre les demandeurs d’asile qui n’ont pas tous accès à un accompagnement associatif leur offrant une telle préparation ou à des ressources et compétences personnelles leur garantissant une maîtrise de ce type de discours sur soi.

Et si le rejet de la demande d’asile a des implications administratives et matérielles directes, plaçant les déboutés en situation irrégulière sur le territoire français, il a aussi des conséquences psychologiques : le non-octroi d’une protection internationale et avec elle de la possibilité de rester en France peuvent être vécus comme une expérience ravivant les dénigrements précédemment expérimentés en tant que personne LGBT+.