L’effondrement de l’axe iranien de « la résistance » en treize étapes

De Gaza à Beyrouth, de Damas à Téhéran, les piliers de l’« axe de la résistance » tombent les uns après les autres. Largement documentée par Le Monde, la séquence ouverte par l’attaque du Hamas en octobre 2023 a précipité l’éclatement d’un système d’alliances patient, complexe, fondé par l’Iran dans les années 1980 pour contrer Israël. En 2025, ce projet géopolitique touche à sa fin.

I Un cimetière au Sud-Liban

Le 6 décembre 2024, dans un village du Sud-Liban, vingt-six combattants du Hezbollah sont enterrés. Ils appartenaient à une unité territoriale décimée quelques jours plus tôt par une offensive israélienne. Parmi eux, deux frères, des cousins. Tous jeunes. Tous tombés dans ce qui s’apparente à une déroute militaire. « Tant de destructions, tant de morts… Est-ce que ça en valait la peine ? » s’interroge un proche, cité par « Le Monde », en regardant vers la frontière sud.

Depuis la mort de Hassan Nasrallah, tué le 27 septembre 2024 dans une frappe israélienne, le Hezbollah est désorienté. Son quartier général à Beyrouth, pourtant ultrasécurisé, n’a pas tenu. En moins de deux mois, le mouvement, autrefois perçu comme la force armée la plus redoutée du monde arabe, est en passe d’être démantelé

II La fin d’un maillon-clé

Créé en 1982 avec l’appui direct des Gardiens de la révolution iraniens, le Hezbollah fut longtemps la pièce maîtresse de la stratégie iranienne. Unique milice non démobilisée après la guerre civile libanaise, il s’est affirmé à la fois comme bras armé, outil politique, et relais idéologique de l’Iran au Levant.

Mais à la fin de l’année 2024, son rôle change de nature. Il devient un boulet. Tel-Aviv mène une campagne systématique contre ses structures. Et l’Iran reste en retrait. Le Monde note : « L’offensive dévastatrice de Tel-Aviv contre le Hezbollah a pris les Iraniens de court, impuissants à le soutenir par crainte d’une riposte israélienne sur leur sol. »

Les sympathisants du parti chiite s’interrogent. L’Iran les a-t-il sacrifiés pour s’éviter une guerre totale ? Le doute se répand, fissurant la fidélité au sein même des rangs chiites.

III. Ghassem Soleimani, l’ombre d’un empire 

L’effondrement actuel ne peut se comprendre sans évoquer Ghassem Soleimani. Commandant de la force Al-Qods, figure centrale de la projection stratégique iranienne, il fut tué en janvier 2020 par une frappe américaine. À l’époque, il se vantait de contrôler « la politique de l’Iran en Irak, au Liban, à Gaza, et en Afghanistan » — une déclaration rapportée par Le Monde, tirée d’un message adressé au général américain Petraeus.

Sa mort, si elle ne provoque pas d’escalade immédiate, marque la fin d’une doctrine. Les représailles iraniennes – une douzaine de missiles tirés sur des bases américaines en Irak – sont calibrées, prévisibles. Le Monde cite Adel Bakawan, directeur de l’EISmena : « La vengeance était indispensable en termes d’image, mais soigneusement calculée pour éviter l’escalade. »

Sans Soleimani, l’« axe » perd son stratège et son liant.

IV La recomposition du Moyen-Orient

Entre 2020 et 2023, l’Iran tente de contenir l’effondrement. La normalisation d’Israël avec plusieurs pays arabes (accords d’Abraham) réduit la marge de manœuvre de l’axe. Puis, en mars 2023, un accord irano-saoudien est signé à Pékin. Les Houthis cessent d’attaquer Riyad. L’Iran semble gagner du temps.

Mais ce répit stratégique masque une érosion réelle. Les milices, trop autonomes, deviennent incontrôlables. Le Hamas est le premier à franchir la ligne rouge

V Yahya Sinouar et le 7-Octobre

Le 7 octobre 2023, Yahya Sinouar, chef militaire du Hamas, lance une attaque d’envergure contre Israël. Selon Le Monde, « les Iraniens n’avaient aucun intérêt à déclencher cette guerre ; l’initiative de Sinouar les a rendus furieux ».

Sinouar ne consulte personne. Il n’écoute personne. Ancien détenu israélien, formé dans les prisons plus que dans les académies militaires, il agit seul. Le Hamas attaque, Israël répond, et le prix politique est lourd. Téhéran doit afficher une solidarité de façade. Mais l’unité de l’axe vole en éclats.

VI Damas frappée, l’Iran exposé

L’Iran paie cher sa prudence. Le 1er avril 2024, une frappe israélienne vise le consulat iranien à Damas. Huit membres des Gardiens de la révolution sont tués, dont le général Mohammad Reza Zahedi, décrit par Le Monde comme « le personnage-clé des relations de Téhéran avec le Hezbollah et le régime de Damas ». Parmi les morts figure également Hossein Amirollah, chef d’état-major des Forces Al-Qods pour la Syrie et le Liban.

Cette attaque marque une rupture. Pour l’Iran, il devient évident que le Hezbollah et son arsenal de missiles ne jouent plus leur rôle de dissuasion. Comme l’explique Vali Nasr, historien américano-iranien cité par Le Monde, « l’Iran a compris qu’Israël ne se souciait plus du Hezbollah et qu’il était prêt à prendre des risques bien plus grands que par le passé ». Ce constat pousse Téhéran à changer de stratégie : riposter non plus par ses proxies, mais directement.

Israël, fort de sa supériorité technologique et renseignementielle, semble jouer sans contraintes. L’État hébreu bombarde en retour un site de défense aérienne iranien, dans ce qui apparaît rétrospectivement comme le prélude à la guerre ouverte de juin 2025.

VII. L’effondrement syrien : la trahison d’Assad

À ce moment critique, Téhéran découvre une trahison encore plus cinglante. Selon Le Monde, « les Iraniens ont, depuis, acquis la conviction que les renseignements qui ont mené à la frappe sur leur consulat à Damas avaient été divulgués au Mossad par Bachar Al-Assad en personne ». Cette révélation frappe au cœur de l’axe : la Syrie était considérée comme un maillon logistique essentiel, « l’anneau d’or de la résistance contre Israël », selon les mots d’Ali Akbar Velayati, ancien conseiller du Guide suprême.

La République islamique a tout fait pour maintenir le régime baassiste à flot depuis 2011. Des milliers de miliciens chiites sont venus du Liban, d’Irak, d’Afghanistan ou du Pakistan pour défendre Assad. Le Monde rappelle que « près de 30 milliards de dollars ont été dépensés à cet effet », selon Heshmatollah Falahatpisheh, ancien président de la commission de la sécurité nationale au Parlement iranien.

Mais l’alliance se délite. Téhéran ne soutient pas la reconquête des régions syriennes tenues par les Kurdes alliés de Washington, par crainte d’un affrontement direct avec les États-Unis. Assad, isolé, bascule. Le 8 décembre 2024, il fuit Damas pour Moscou. L’Iran perd son plus fidèle allié régional.

VIII. Gaza, Liban, Syrie : une série de chutes coordonnées

La Syrie tombe, le Hezbollah est décapité, le Hamas est traqué jusqu’à l’extinction. Yahya Sinouar, chef militaire du Hamas, est abattu par un drone israélien à Rafah un an après le début de l’offensive. Ismaïl Haniyeh est tué dans une frappe aérienne en plein Téhéran, le 31 juillet 2024. Israël, désormais sûr de lui, frappe où il veut, quand il veut.

La supériorité du renseignement israélien sidère Téhéran. Le Monde évoque une attaque de grande ampleur aux « bipeurs piégés » ayant « neutralisé des centaines de membres du Hezbollah, estropiés, défigurés ou tués sous le coup de leur explosion simultanée ». Le régime iranien perd à la fois des hommes, des structures, et une part de son invincibilité idéologique.

Dans ce climat de désagrégation, même les derniers bastions se fissurent. Les Houthis du Yémen, longtemps figures combatives de l’axe, signent un cessez-le-feu avec Washington en mai 2025. L’Irak demeure la dernière carte, mais une carte incertaine

IX L’Irak, ultime bastion ?

Téhéran dispose encore, en Irak, d’un vaste réseau milicien. Selon Le Monde, « quatre-vingts organisations miliciennes chiites, soit 235 000 combattants, répondant directement aux ordres du Guide suprême, ont été épargnées par la vindicte israélienne ». Ces forces sont supposées jouer un rôle de dissuasion contre les États-Unis, rappelant que Bagdad accueille la plus grande ambassade américaine au monde, et qu’Erbil, dans le Kurdistan irakien, abrite l’une de ses bases les plus sensibles.

Mais là encore, la marge de manœuvre est étroite. Les radars sont orientés et filtrés par les Américains. Israël dispose d’un corridor aérien dégagé jusqu’à Téhéran. Et les autorités chiites irakiennes les plus influentes, à commencer par l’ayatollah Al-Sistani, se contentent de condamnations morales. Aucun appel à la guerre ne résonne depuis Nadjaf ou Karbala.

X Téhéran acculé : changer de stratégie pour survivre

La République islamique semble avoir pris acte de sa défaite régionale. La mort du président Ebrahim Raïssi, dans un accident d’hélicoptère le 19 mai 2024, a ouvert une brèche. Son successeur, Massoud Pezeshkian, est perçu comme plus modéré. Selon Vali Nasr, cité par Le Monde, « l’intérêt iranien pour un accord nucléaire avec Trump s’inscrit en partie dans ce changement stratégique ».

L’Iran cherche désormais à limiter les dégâts : sauver ses installations critiques, relancer un dialogue avec les Européens, voire les Américains, et restaurer son image de puissance rationnelle. Le rêve révolutionnaire d’un arc chiite encerclant Israël, né dans les tranchées de la guerre Iran-Irak, semble révolu.

XI L’axe de la résistance appartient au passé

L’« axe de la résistance » n’a pas été démantelé par une grande offensive, ni par un retournement soudain. Il a été miné de l’intérieur, fragmenté par des conflits d’intérêts, vidé de sa substance stratégique. Son efficacité reposait sur un équilibre entre menace et prudence, entre décentralisation tactique et coordination idéologique. Sans Soleimani, sans Nasrallah, sans la solidité de l’axe Damas–Beyrouth–Téhéran, ce modèle asymétrique s’est effondré.

Pour l’Iran, ce constat impose un recentrage. Désormais seul, le régime islamique semble chercher à se repositionner sur la scène internationale. La nomination d’un président plus modéré, les signaux envoyés à l’Europe et aux États-Unis, les propositions de retour aux négociations sur le nucléaire : tout indique un repli stratégique. L’objectif n’est plus de projeter la puissance iranienne, mais de sauver l’essentiel.

XII. Une reconfiguration régionale profonde

Le Moyen-Orient de l’axe chiite n’existe plus. Le Monde le souligne clairement : « Les lignes géopolitiques du Moyen-Orient, établies depuis plusieurs décennies, sont irrémédiablement brouillées. » Les alliances sont mouvantes. Israël agit désormais en toute autonomie. Les États arabes normalisent leurs relations avec Tel-Aviv. La Turquie affirme ses propres ambitions. Et les États-Unis, bien que présents, laissent Israël porter le feu.

Dans ce contexte, l’axe de la résistance n’est plus un levier stratégique. Il est un vestige. Ses piliers sont démolis ou désengagés, ses chefs tués, ses réseaux infiltrés, son narratif discrédité. Même au Liban, les responsables du Hezbollah ont publié un communiqué annonçant qu’ils ne participeraient pas à la guerre. Une déclaration que personne n’aurait imaginée quelques années plus tôt.

XIII. Fin d’un cycle historique

Ce qui s’achève avec cette séquence, c’est une époque. L’ère où l’Iran façonnait la carte régionale à travers des proxies, des milices, des réseaux clandestins. L’ère où l’ombre de Ghassem Soleimani planait sur Beyrouth, Damas et Bagdad. L’ère où l’axe chiite faisait trembler Israël, Washington, Riyad.

Les attaques du 7 octobre 2023, censées raviver la cause palestinienne, ont déclenché une tempête qui s’est retournée contre leurs initiateurs. « Si la séquence ouverte par le 7-Octobre a ramené la question palestinienne sur le devant de la scène internationale, elle a mené l’ensemble des acteurs de l’’axe de la résistance’ à la débâcle », résume Le Monde.

Un à un, les alliés sont tombés. L’Iran, seul, doit désormais composer avec un nouvel ordre régional où il n’est plus l’architecte, mais un acteur affaibli. Le projet idéologique qui assurait sa projection stratégique est moribond. L’axe de la résistance appartient à l’histoire.