Le procès s’est ouvert le jeudi 20 mars à 10h au tribunal de Dar El Beïda à Alger.Le journal algérien elchourouk, le 21 mars, publie en exclusivité les détails du procès de Boualem Sansal
Mariem Zakari & Nawara Bachouche
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Le juge : “Vous avez échangé des messages avec l’ambassadeur français contenant des propos insultants envers l’armée et les institutions gouvernementales”
Le ministère public : “Des publications et fichiers électroniques suspects portant atteinte à la sécurité nationale ont été retrouvés en possession de l’accusé”
Boualem : “J’admets l’existence de fichiers et de vidéos, mais ils relèvent de la liberté d’expression”
L’écrivain Boualem Sansal a reconnu devant la justice algérienne qu’il possédait des fichiers et vidéos compromettants pour l’ordre public et la sécurité du pays, tout en affirmant qu’il s’agissait simplement d’une “liberté d’expression”. Il a également admis avoir échangé des messages avec deux ambassadeurs français, expliquant au juge qu’ils étaient “de simples amis”.
Boualem Sansal, libre de ses mouvements, est apparu calme et en bonne santé, contrairement aux rumeurs relayées par certaines parties. Il n’a montré aucun signe de fatigue ou de détérioration physique, ce qui confirme qu’il n’a subi ni mauvais traitement ni pression durant sa détention.
La salle d’audience n°2 a accueilli l’écrivain en tant que quatrième accusé de la journée, ce qui démontre qu’il a été traité comme tout autre inculpé, sans privilège ni discrimination. En seulement 20 minutes, la justice algérienne a balayé les allégations de torture et de pressions prétendument exercées sur l’accusé, confirmant que l’Algérie demeure un État de droit où les procès se déroulent dans le cadre du plaidoyer et non de la vengeance.
Face-à-face entre le juge et Sansal
Le juge l’interroge :
— “Parlez-vous arabe ?”
Sansal : “Franchement, non, je ne le maîtrise pas.”
— “Et le dialecte algérien ? Essayez de répondre autant que possible en comprenant les questions.”
Sansal : “Je ne comprends pas non plus la darija, Monsieur le Président.”
Après vérification de son identité, le juge lui expose les chefs d’accusation :
— “Vous êtes poursuivi pour atteinte à l’unité nationale, outrage à une institution, actes pouvant nuire à la sécurité et à l’économie du pays, ainsi que possession de vidéos menaçant la sûreté nationale. Reconnaissez-vous ces faits ?”
Sansal : “Non, je rejette ces accusations en bloc.”
Le juge poursuit :
— “L’examen électronique de vos appareils, y compris votre téléphone, a révélé un message adressé à un certain ‘Yazid’, membre du Mouvement pour l’Autodétermination de la Kabylie (MAK), dans lequel vous exprimez votre satisfaction quant aux actions du groupe en faveur de l’indépendance de la Kabylie. Confirmez-vous cet envoi ?”
Sansal : “Non, je ne lui ai rien envoyé, Monsieur le Président.”
— “Autre accusation : des échanges de messages entre vous et un membre de l’ambassade française, comprenant des propos injurieux à l’égard du Parlement algérien.”
Sansal : “Je n’ai pas compris…”
Le juge explique alors :
— “Nous avons trouvé sur WhatsApp des messages entre vous et l’actuel ambassadeur français dans lesquels vous insultez l’armée et les institutions gouvernementales. Que répondez-vous ?”
Sansal : “Je ne nie pas l’existence de ces messages, mais il s’agissait d’une conversation ordinaire qui ne comportait aucune insulte.”
Le juge poursuit son interrogatoire :
— “Nous avons également découvert des messages échangés avec l’ancien ambassadeur français en Algérie, dans lesquels vous dites : ‘Je suis heureux, nous avons du pétrole et Chengriha’. Que vouliez-vous dire par là ?”
Sansal : “Oui, j’ai bien échangé ces messages avec lui, nous sommes amis. J’exprimais la réalité économique et sécuritaire du pays, sans intention d’offense ni de moquerie.”
— “Qu’en est-il de l’article trouvé en votre possession, traitant de la puissance militaire de l’Algérie et de son armée ?”
Sansal : “Je voulais simplement exprimer mon point de vue en tant que citoyen algérien, sans intention de nuire à l’institution militaire que je respecte profondément.”
— “Autre accusation : vous auriez porté atteinte à l’économie nationale à travers vos échanges avec l’ancien ambassadeur français, notamment en discutant du rejet de l’adhésion de l’Algérie aux BRICS à deux reprises. Qu’avez-vous à dire ?”
Sansal : “C’était une discussion informelle entre amis, et non une déclaration officielle.”
— “Enfin, selon nos investigations, vous avez diffusé de fausses informations portant atteinte à la sécurité nationale lors d’une interview télévisée, en critiquant des décisions de l’État sur la base d’éléments inexacts. Comment réagissez-vous ?”
Sansal : “J’ai donné mon avis en tant que citoyen préoccupé par la situation de son pays. Il n’y avait aucune intention malveillante.”
— “Que dites-vous des documents et vidéos compromettants retrouvés sur votre clé USB ?”
Sansal : “Oui, j’admets leur existence, mais je les ai collectés dans un cadre purement lié à la liberté d’expression.”
Un réquisitoire sévère : 10 ans de prison ferme
Le procureur a requis une peine de 10 ans de prison ferme assortie d’une amende d’un million de dinars algériens contre Boualem Sansal, l’accusant de :
• Atteinte à l’unité nationale
• Outrage à une institution publique
• Activités préjudiciables à la sécurité et à l’économie nationale
• Possession de contenus menaçant la stabilité du pays
Le ministère public a détaillé l’arrestation de Sansal à son arrivée à l’aéroport d’Alger avec un passeport algérien, en vertu d’un mandat d’arrêt émis à son encontre.
L’analyse de ses appareils électroniques aurait révélé des échanges avec des membres du MAK et des diplomates français, ainsi que des publications dans la presse étrangère jugées nuisibles à la souveraineté nationale.
Le procureur a insisté sur le fait que la liberté d’expression n’est pas un prétexte pour violer la loi, affirmant que les preuves matérielles étaient accablantes et justifiaient une sanction exemplaire.
Un procès sous tension, mais sans irrégularités
Durant tout le procès, Sansal s’est montré serein et coopératif, bien que parfois en difficulté avec la langue arabe. L’audience s’est déroulée dans un cadre strictement légal, sans restriction de ses droits à la défense, confirmant ainsi le respect des procédures judiciaires algériennes.
Boualem Sansal, dix ans de prison, mais une amnistie posssible