Le monde selon la CIA: la palme des lieux communs

La CIA vient de sortir son rapport annuel sur les nouvelles menaces qui guettent le monde, intitulé : « Russie, Ukraine, Europe de l’Est et autres risques de conflits ». Les documents de l’agence de Langley sont toujours un condensé d’exercices d’autosatisfactions, de prospectives façon madame Irma, de faits distordus, de truismes !

 

 Peu après les attentats du 11 septembre 2001, le conseiller de Georges Bush avait prononcé cette phrase désormais célèbre : « Nous sommes un empire maintenant, et lorsque nous agissons, nous créons notre propre réalité. » La CIA en a fait son mantra. Les deux journalistes Adrien Jaulmes du Figaro et Lucas Menget de France info qui préfacent la version française du rapport ont, visiblement, eux-aussi, épousé cette maxime. Dès la première phrase, les deux plumes frappent fort : « La CIA est de retour. » On ne la savait pas partie…

Les experts de l’agence américaine expliquent ensuite que depuis la guerre en Ukraine « elle a renoué avec sa mission première : le renseignement. » Qu’a-t-elle donc fait d’autre pendant tout ce temps ? Evoquant les données fournies par l’agence juste avant le début du conflit en Ukraine, ils écrivent sans trembler : « Les informations ont continué d’affluer, précises, implacables, mises à jour régulièrement comme des observations météorologiques d’une tornade en formation. » Rien que ça…

En évoquant ledit rapport, les deux compères concluent leur hagiographie ainsi : « On voudrait souvent nous faire croire qu’une opinion en vaut une autre. Peut-être. Un fait, lui, est une information. Et c’est sans doute ce qui éclaire le mieux dans le brouillard. » Certes, mais à condition de ne pas créer ses propres faits, comme on crée sa propre réalité…  

Un propos convenu

S’agissant des menaces qui guettent la planète, les espions de la grande maison de Virginie écrivent : « Ces défis se recouperont et interagiront de manière imprévisible, entraînant des effets qui se renforceront les uns les autres et pourraient remettre en question notre capacité à réagir, mais aussi à saisir de nouvelles opportunités pour agir collectivement avec alliés et partenaires contre la menace renouvelée d’agression des États-nations et les menaces émergentes envers la sécurité humaine. » C’est beau comme un discours de Macron, Langley aurait-elle recruté des énarques ?

Mais leurs truismes ne s’arrêtent pas là. C’est, ne l’oublions pas, une revue internationale :

« En Ukrainenous observons les résultats de la volonté accrue de la Russie d’utiliser les menaces militaires et la force pour imposer sa volonté aux pays voisins. »

« L’Iran restera une menace régionale s’adonnant à des activités d’influence malveillantes plus générales »

« La Corée du Nord étendra ses capacités en matière d’armes de destruction massive tout en demeurant un élément perturbateur sur les scènes régionale et mondiale. »

« La Chine continuera d’étendre son service de renseignements mondial et sa posture d’influence secrète pour mieux soutenir les objectifs politiques, économiques et sécuritaires du PCC, défiant de plus en plus l’influence américaine. »

« En Afrique de l’Ouest, un mélange instable de recul démocratique, de violence intercommunautaire et de terrorisme menacera la stabilité de la région. »

« L’Afrique de l’Est connaîtra probablement de nouveaux épisodes de conflit au cours de l’année, car la région devient de plus en plus tendue par la guerre civile en Éthiopie, les luttes de pouvoir au sein du gouvernement de transition au Soudan, l’instabilité persistante en Somalie et une élection controversée au Kenya. »

« Le Hezbollah libanais continuera de travailler avec l’Iran pour développer des capacités terroristes en complément des capacités militaires conventionnelles croissantes du groupe. »

Ce tour d’horizon des banalités n’est bien entendu pas exhaustif.

 L’audition du patron

La nouveauté de ce rapport consiste à publier l’intégralité de l’audition du patron de l’Agence, William Burns, devant le Comité des renseignements du Congrès, le 8 mars 2022, soit quinze jours après le début de la guerre en Ukraine.

Après avoir dépeint un conflit en noir et blanc, avec d’un côté un Poutine « isolé » partit en guerre sur la base « d’hypothèses » qui se sont révélées toutes « fausses », le directeur de la CIA a décrit un Zelensky « courageux » et « admirable ». A une question sur le nombre de soldats russes mort au cours des 15 premiers jours de combat, il a répondu : « Avec un faible degré de fiabilité, quelque part entre deux et quatre mille soldats. » Du simple au double et encore ce n’est pas certain… Pour rappel, pour atteindre un tel niveau fiabilité, Langley dispose d’un budget annuel de près de 100 milliards de dollars, soit deux fois plus que le budget de la Défense française…

Interrogé sur la très sérieuse question du risque nucléaire, Williams Burns a répondu : « En réponse à votre question directe sur un scénario dans lequel l’OTAN et les États-Unis seraient directement impliqués dans un conflit militaire avec la Russie, la doctrine russe veut qu’on escalade pour désescalader. » (sic)

 

A ce stade, il ne nous reste plus qu’à citer Raymond Devos : « Est-ce l’œuf le père de la poule ou la poule la mère de l’œuf ? »