L’assassinat inexpliqué d’un diplomate égyptien à Genève

Le 13 novembre 1995, un diplomate égyptien est tué de six balles sur les bords du lac Léman. La justice suisse soupçonne d’abord les Frères musulmans, et plus particulièrement la famille Ramadan. Coup de théâtre : trente ans plus tard, le procureur général accuse… l’ancien président Hosni Moubarak d’avoir été à la tête du complot. Finalement, le Tribunal pénal fédéral reconnaît que le dossier est vide, l’acte d’accusation ne contenant que deux petites pages.

Par Ian Hamel, à Genève         

Le meurtrier d’Alaa al-Din Nazmi, 42 ans, directeur commercial de la mission égyptienne à Genève, restera définitivement impuni. Le 6 février 2025, le Tribunal pénal fédéral, qui siège à Bellinzone, dans le canton du Tessin, a acquitté les deux prévenus soupçonnés d’avoir participé à cet assassinat. A savoir “Momo“, un voyou local, d’origine ivoirienne, connu pour des cambriolages, des vols de voitures, des escroqueries à l’assurance, et une de ses anciennes maîtresses, alors âgée de vingt ans au moment des faits, devenue depuis esthéticienne. Ni l’un ni l’autre n’ont véritablement le profil de tueurs. Car c’est bien un professionnel qui a abattu le diplomate égyptien de six balles tirées par un pistolet semi-automatique dans le parking souterrain de son immeuble, à Genève le 13 novembre 1995, et lui a dérobé sa mallette. Seul indice, le silencieux de l’arme abandonné au sol.  

A l’époque, l’assassinat fait la une de la presse internationale. En Suisse, on négocie, on complote, on passe des accords contre-nature, mais on ne tue pas. Carla Del Ponte, alors procureur général de la Confédération, privilégie la piste islamiste, et plus particulièrement le Centre islamique de Genève (CIG), créé par Saïd Ramadan, le gendre d’Hassan al-Banna, le fondateur des Frères musulmans égyptiens, farouches opposants au régime égyptien. Saïd Ramadan est mort quelques semaines auparavant, en août 1995, et on se demande comment ses enfants comptent investir le trésor de guerre de la Confrérie, qu’il était soupçonné gérer. Le CIG est perquisitionné le 23 novembre 1995. Tariq et Hani Ramadan sont mis sur écoute pendant plusieurs semaines, sans résultat. 

Des commanditaires non identifiés         

L’enquête est au point mort jusqu’en… 2018. Grâce à l’utilisation d’algorithmes de détection, on a pu retrouver sur le silencieux l’ADN d’un délinquant local, surnommé “Momo“, originaire de Côte d’Ivoire, âgé de 26 ans au moment des faits. Il possède un casier judiciaire long comme le bras : « lésions corporelles », « séquestration », « contraintes sexuelles », « cambriolage », « vols de voitures ». L’une de ses anciennes amies a aussi laissé son ADN sur le silencieux. “Momo“, comme son ancienne maîtresse, nient catégoriquement les faits. Finalement, le procès devant le Tribunal pénal fédéral ne s’est ouvert que le 2 décembre 2024 à Bellinzone, 29 ans après les faits, afin d’éviter la prescription. L’enquête n’a pas avancé d’un millimètre. L’acte d’accusation se contente d’évoquer un assassinat orchestré par un ou des commanditaires « non identifiés », contre « une rémunération indéterminée ». 

Mais coup de théâtre, au cours du procès, Marco Renna, le procureur fédéral, abandonnant la piste islamiste, montre du doigt Hosni Moubarak, l’ancien président égyptien. Les preuves ? Il serait venu subir une intervention chirurgicale sur les bords du lac Léman quelques temps avant le meurtre. Mieux encore, l’un de ses fils aurait débarqué à Genève au lendemain de l’attentat… Des accusations qui paraissent sortir d’un chapeau. En effet, comment imaginer qu’un chef d’État puisse se montrer suffisamment imprudent pour se rendre sur les lieux d’un futur crime ? Et pourquoi aurait-il fait abattre l’un de ses diplomates ? Toujours selon le magistrat suisse, le directeur adjoint du bureau commercial de la mission égyptienne se serait montré critique vis-à-vis du régime égyptien. N’aurait-il pas été plus simple et plus discret de le rapatrier au Caire, plutôt que de payer un tueur pour le réduire au silence ?

L’Égypte reste muette

Faut-il s’étonner si, finalement, les juges ont préféré acquitter “Momo“ et son ancienne amie, considérant que « le peu de preuves et d’indices disponibles ne suffit pas à faire la démonstration d’une participation des prévenus à l’assassinat en tant que tel ». Toutefois “Momo“ n’en a pas fini avec la justice. Il a été condamné à 15 ans de prison pour toute une série de délits, dont viol, contraintes sexuelles, séquestration, escroquerie, etc.

Curieusement, l’Égypte, étrangement muette, n’a même pas protesté devant les accusations du procureur général. Et la veuve d’Alaa al-Din Nazmi n’a pas souhaité être entendue durant le procès, ni se porter plaignante.