Dans une lettre publiée vendredi 21 juillet, 1 142 réservistes de l’armée de l’air – dont 235 pilotes de chasse, 98 pilotes d’avions de transport, 89 pilotes d’hélicoptères et 173 opérateurs de drones – ont déclaré qu’ils ne se porteraient plus volontaires si le gouvernement persistait dans son projet de réforme du système judiciaire.
Ils ont été soutenus par des dizaines d’anciens hauts responsables de la sécurité israélienne qui ont signé samedi 22, une lettre d’approbation aux centaines de réservistes de l’armée de l’air qui ont décidé de ne pas se présenter à leurs fonctions de réserve. Les signataires de la lettre comprennent les chefs d’état-major à la retraite Ehud Barak (qui a ensuite été Premier ministre), Moshe Yaalon et Dan Halutz ; les anciens chefs de l’agence de sécurité du Shin Bet Nadav Argaman, Yuval Diskin et Carmi Gilon ainsi que les anciens chefs du Mossad Tamir Pardo, Nahum Admoni, Efraim Halevy, Shabtai Shavit et Dani Yatom.
Le projet de réforme judiciaire du gouvernement israélien fracture aujourd’hui le socle le plus consensuel de la société israélienne, son armée. La semaine prochaine, le gouvernement cherchera, par un second vote à l’Assemblée nationale, à interdire à la Cour suprême d’utiliser l’argument du « raisonnable » pour annuler une loi, une décision du gouvernement ou une nomination. Faute de constitution sur laquelle s’appuyer, la Cour suprême israélienne utilise des arguments moraux comme celui de la « raisonnabilité » pour intervenir dans le jeu politique et cadrer l’action du Parlement. C’est cette réduction du pouvoir du législateur par des juges non élus à laquelle le gouvernement de Benjamin Netanyahou souhaite mettre un terme. Et c’est ce pouvoir des juges que la gauche israélienne entend défendre bec et ongles, au point de remettre en cause l’outil de cohésion le plus important du pays, l’armée.
jTsahal – acronyme des Forces de défense d’Israel -, est une armée composée d’un noyau de professionnels qui dirigent et forment des jeunes qui accomplissent trois ans de service militaire. Lorsque ces jeunes acquièrent une spécialité utile à l’armée, ils deviennent alors des réservistes et sont mobilisés régulièrement pour des missions ou pour leur entrainement. Ce sont ces réservistes qui remettent en question le lien qui les lie jusque-là à l’armée et donc à la nation israélienne. C’est la première fois, en soixante-quinze ans d’existence de l’Etat d’Israël, qu’une frange importante de réservistes de gauche – 10 000 en tout annonce le journal de gauche Haaretz – remet en question son adhésion et sa participation à l’armée d’active au nom de ses opinions politiques.
L’armée de l’air touchée
Pour la première fois, des réservistes dont la contribution est indispensable au bon fonctionnement de l’armée – et de l’armée de l’air en particulier qui est le fer de lance de la force de frappe d’Israël- estiment que la crise politique que traverse leur pays est de nature à remettre en cause le contrat moral, civique et politique qui les lie à l’armée et donc à la société israélienne.
Les responsables de la défense laissent entendre aujourd’hui que cette défection des réservistes est de nature à affecter le bon fonctionnement de l’armée et de l’armée de l’air en particulier.
Les escadrons de chasse israéliens dépendent en effet, des pilotes de réserve qui ont des emplois civils réguliers mais qui se portent volontaires pendant plusieurs jours chaque mois pour s’entraîner ou participer à des missions de combat et de reconnaissance.
Les frappes régulières d’Israël à Gaza et en Syrie, les missions de patrouille au-dessus d’Israël et les missions de surveillance au Liban et en Cisjordanie occupée sont fréquemment confiées aux pilotes et aux opérateurs de drones de la réserve. Beaucoup d’entre eux ont plus d’expérience que ceux des forces à plein temps. Une frappe israélienne contre l’Iran, dépendrait également des réservistes.
Etrangement, la hiérarchie militaire évite de taper du poing sur la table et reste silencieuse face à ces manifestations fracassantes de réservistes. Ce silence ne peut signifier qu’une chose : la division politique est arrivée au cœur de la hiérarchie militaire.
Un coup d’Etat. soft
Dans une allocution prononcée jeudi, Benjamin Netanyahou a critiqué les réservistes qui tentent de peser sur la politique gouvernementale en refusant de servir. « Dans une démocratie, l’armée est subordonnée au gouvernement – elle n’oblige pas le gouvernement », a-t-il déclaré. « Quand des éléments de l’armée essaient, avec des menaces, de dicter la politique au gouvernement, c’est inacceptable dans toute démocratie. »
Ofer Lapidot, un général de brigade qui a démissionné de l’armée de l’air de réserve la semaine dernière, a déclaré au micro de Kan, le radiodiffuseur public israélien, que « le contrat a été rompu ». Il a posé la question de savoir ce qui « est pire ? La destruction du pays ? Ou le renforcement d’une armée qui servira un gouvernement illégitime – légal mais pas légitime – qui nous amène à une dictature et donnera bientôt des ordres illégaux ? » Pour Ofer Lapidot, il ne fait pas de doute que « les valeurs » qu’il entend défendre priment sur l’existence du pays qu’il a contribué à créer et protéger.
Si la coalition emmenée par Benjamin Netanyahou persiste dans son projet de réforme judiciaire, toute la question est de savoir si la hiérarchie militaire d’active continuera de garder le silence ou si elle penchera du côté des réservistes dissidents.