Dans Corps Noirs, Christelle Bakima Poundza analyse la représentation des femmes noires dans la mode, dénonçant stéréotypes et exclusions, et propose des pistes pour une beauté inclusive, entre critique sociale, témoignage personnel et solutions concrètes.
À 27 ans, Christelle Bakima Poundza secoue l’industrie de la mode avec Corps Noirs, un essai percutant qui décrypte la place des femmes noires dans cet univers impitoyable. Publié aux éditions Les Insolentes, ce premier livre frappe par sa justesse et sa nécessité.
Tout commence par une passion dévorante pour la mode. Adolescente, Bakima Poundza collectionne magazines et revues, avant de franchir les portes prestigieuses de l’Institut français de la mode. C’est là qu’un constat la frappe : l’absence criante de visages qui lui ressemblent sur papier glacé. De cette observation naît un projet ambitieux : analyser la représentation des mannequins noirs dans le paysage médiatique français. Plus qu’un simple état des lieux, Corps Noirs devient le miroir des dynamiques sociales qui traversent notre société. La mode n’est qu’une vitrine où se rejouent sexisme, racisme et misogynoir.
Le titre lui-même s’affirme comme un acte de résistance. En retournant le stigmate, l’ouvrage place au centre les femmes noires, humanisant des corps trop souvent réduits à des stéréotypes. Sur la couverture, un collage de femmes noires incarne ces identités et ces combats. Derriere les clichés de « panthère » ou de « femme sauvage » se cachent des histoires, des êtres humains et des luttes pour la reconnaissance.
Bakima Poundza puise aussi dans son expérience personnelle. Elle raconte comment elle a compris, dès son jeune âge, que certains physiques accédaient à la reconnaissance et à la beauté, tandis que le sien était ignoré. Cette vulnérabilité assumée donne une force unique à son analyse, à mi-chemin entre témoignage intime et critique sociale.
Un exemple marquant de l’histoire qu’elle explore est la bataille de Versailles, il y a 50 ans. Alors que les créateurs américains présentaient dix mannequins noires, leurs homologues français n’en incluaient aucune. Cet épisode reste un symbole des disparités qui persistent aujourd’hui.
Les témoignages recueillis sont glaçants. Une mannequin se souvient qu’on lui a reproché d’avoir « trop de formes », comme si son corps africain était un défaut. D’autres évoquent des castings où l’on cherche une « fille black, mais pas trop ». Ces récits révèlent l’hypocrisie d’une industrie qui prétend valoriser la diversité tout en la réduisant à un outil marketing. La mode française semble fascinée par l’exotisme, tout en rejetant la véritable différence.
L’essai ne se contente pas de critiquer : il propose des solutions concrètes. Bakima Poundza insiste sur la nécessité de repenser toute la chaîne de production, des écoles de mode aux agences de mannequins, en passant par les rédactions. Elle met en avant des initiatives comme le collectif Black Fashion Fair qui promeut les créateurs noirs, ou The Colored Girl Project qui célèbre la diversité des beautés noires. Elle souligne également le rôle crucial des réseaux sociaux, devenus un espace de résistance et de reconquête de l’image. Ces plateformes ont permis de transformer la représentation des femmes noires, parfois bien plus que des décennies de mode traditionnelle.
Corps Noirs s’impose comme une lecture fondamentale. Deux ans après sa publication, l’analyse de Bakima Poundza reste d’une actualité saisissante, preuve que les problèmes qu’elle dénonce sont systémiques. Bien plus qu’un essai sur la mode, cet ouvrage est une invitation à décoder les dynamiques de pouvoir, un manifeste pour une beauté inclusive et un appel à l’action. La représentation, insiste l’autrice, n’est pas une tendance, mais une question essentielle de dignité humaine.