La fragmentation syrienne

 La situation actuelle en Syrie évoque un retour troublant aux ambitions fragmentaires héritées de l’époque mandataire. En 1928, un projet de constitution visant à diviser le pays en entités sectaires et ethniques – alaouites, druzes, sunnites, kurdes – avait été rejeté par les Syriens.
 
Ce texte a été publié sur les réseaux sociaux par Othmal El Katchoul, Diplomate, agrégé d’arabe, ingénieur, docteur en islamologie de l’Université de Strasbourg.
 


Cette fragmentation est aujourd’hui une réalité, nourrie par une décennie de #guerre civile et l’implication d’acteurs locaux et internationaux aux agendas divergents. La Syrie est désormais divisée en plusieurs zones de contrôle :

En gris, la région alaouite autour de Tartous, le port de Lattaquié et d’autres zones rassemblant les bastions du régime d’Assad 
En vert, le Nord-Est kurde, administré par les Forces démocratiques syriennes avec l’appui américain ;
En rouge, les Territoires de Hayʾat Taḥrīr al-Šām, qui tente de faire oublier qu’elle est une émanation d’al-Qaïda ;
En jaune, les rebelles soutenus par la Turquie
En orange, Zones druzes de Soueïda, de plus en plus réfractaires à une gouvernance centralisée ;
En violet, Enclaves influencées par les États-Unis ou Israël, près de la frontière jordanienne.

Cette partition reflète des réalités militaires, politiques et des stratégies internationales. Les États-Unis sécurisent leurs bases à al-Tanf pour surveiller ce qui reste de Daech et protéger des ressources pétrolières, tandis qu’#Israel renforce sa position au Golan et sape les ambitions iraniennes.
La fragmentation syrienne affaiblit mécaniquement tout soutien aux factions palestiniennes et libanaises, une opportunité stratégique pour Tel-Aviv. Impensable il y a dix ans, une normalisation avec les minorités syriennes, seuls alliés envisageables pour Israël, est désormais envisageable.

Les divisions actuelles exacerbent les tensions ethniques et sectaires, déjà amplifiées par des décennies de marginalisation. Dans ce contexte, Aḥmad Ḥusayn al-Šarʿ, chef de Hayʾat Taḥrīr al-Šām qu’il ne faut plus appeler « Abū Muḥammad al-Ǧūlānī » depuis qu’il s’est fait tailler la barbe, tente de se présenter comme leader légitime. Or, son passé djihadiste et les violences perpétrées par son organisation rendent difficile une acceptation par les communautés druzes ou kurdes. Les discours idéologiques, les alliances changeantes et la méfiance généralisée compliquent toute perspective de réconciliation.

Israël et la Turquie apparaissent comme les principaux bénéficiaires de cette division. Toutefois, la situation dépasse les seuls intérêts régionaux. Elle illustre une remise en cause de la souveraineté syrienne et l’incapacité des acteurs locaux à transcender leurs divisions pour unifier le pays. Ce morcellement, loin de résoudre les tensions, perpétue l’instabilité et la souffrance de la population, otage d’intérêts contradictoires.

L’avenir de la #Syrie dépendra de sa capacité à dépasser ce statu quo. Une paix durable ne pourra émerger que d’un effort collectif des Syriens et de la communauté internationale pour reconstruire un projet national inclusif.