Ahmed Bennour, ancien secrétaire d’Etat à la Défense puis à la sûreté nationale sous le régime de Bourguiba devenu après 1987 le pivot de l’opposition à Paris contre la dictature du général Ben Ali, est décédé le samedi 23 juillet 2022 à 85 ans. Mondafrique rend hommage à ce grand combattant de la liberté, qui était un ami fidèle et généreux, d’une infinie courtoisie et sans concession quand il s’agissait de l’avenir de sa chère Tunisie.
Ahmed Bennour, enfant chéri du régime de Habib Bourguiba, avait la carrure d’un homme d’État. C’est certainement la disgrâce en 1985 de Wassila, l’épouse du Combattant suprême dont il était très proche, qui a stoppé net son brillant parcours au sein de l’État tunisien qui aurait du le conduire, après des fonctions ministérielles à la Défense puis à l’Intérieur, aux plus hautes responsabilités. La mémoire que notre ami Ahmed Bennour avait conservé de ces années à servir l’État était proprement impressionnante, toujours documentée et marquée par une hauteur de vues remarquable .
Dès la fin du régime de Bourguiba, qui avait vu le général Ben Ali devenir ministre de l’Intérieur puis Premier ministre avant le coup d’état du 7 novembre 1987, Ahmed Bennour avait été écarté du coeur du pouvoir. Il était nommé, en guise de relégation, ambassadeur en Italie.
Dès lors, les deux hommes que tout éloignait et qui se détestaient profondément se sont livrés un combat acharné où Ahmed Bennour fut menacé dans son intégrité physique par un pouvoir devenu sans foi ni loi.
« Notre ami Ben Ali »
Ahmed Bennour se réfugiait alors à Paris où il s’opposa sans relâche à la dictature du président Ben Ali, au nom de son attachement viscéral aux valeurs républicaines et pluralistes du fondateur de la Tunisie moderne, Habib Bourguiba.
C’est dans le modeste appartement parisien que ne nous l’avons rencontré, Jean Piette Tuquoi, alors journaliste au « Monde » et moi même, grâce à la recommandation de Claude Angeli , rédacteur en chef du Canard Enchainé. Cet homme courtois et hospitalier cultivait en France de multiples liens, aussi bien dans les milieux de presse qu’au sein de la classe politique ou au coeur des services français qu’il avait connus comme ministre. Lors de notre première rencontre, nous avons imaginé le projet d’un livre, « Notre ami Ben Ali », sur le bilan de la dictature de feu le général-Président.
Comment combattre un régime qui jouissait en France d’une excellente réputation, en raison de la répression brutale qu’il exerçait alors contre les islamistes torturés et emprisonnés? Nous avons décidé ensemble qu’il fallait désormais s’en prendre autant à la corruption omniprésente du clan au pouvoir qu’aux atteintes aux droits humains ou aux valeurs démocratiques. Le livre fut un succès de librairie avec 50000 exemplaires vendus. Pour l’anecdote, les premiers exemplaires furent achetés en masse par la police de feu le président Ben Ali, qui croyait assécher ainsi les ventes alors qu’elle assurait ainsi à l’ouvrage un lancement inespéré. « Ben Ali est un flic, et c’est un flic qui est con », nous avait confié un jour Hubert Védrine, alors ministre des Affaires Etrangères.
Une situation « inédite »
Je me souviens encore de ce moment tellement émouvant où je fus accueilli à Tunis, après la fuite de Ben Ali en Arabie Saoudite en janvier 2011, par Ahmed Bennour qui avait pu enfin revenir dans sa chère Tunisie après toutes ces années d’exil en France. La chute de la dictature aura été en partie le fruit de son long et patient travail. « Ce qui a eu lieu en Tunisie sous Ben Ali est proprement inédit », aimait-il expliquer à ses nombreux interlocuteurs à Paris en pesant ses formules qu’il cultivait comme d’autres des plantes rares et en distillant des informations toujours vérifiées, ciblées. Autant de scuds ajustés contre la dictature honnie
C’est peu de dire que sa tristesse fut immense, ces dernières années, face à la dégradation politique et économique de la Tunisie. Sa détestation des pratiques et des valeurs des islamistes d’Ennahdha était sans concession. Pour autant, le référendum tronqué organisé par l’actuel président Kaïs Saied pour justifier son pouvoir devenu absolu, l’avait rendu, ces dernières semaines, totalement pessimiste sur l’état de la Tunisie. Cet homme passionné qui a voué sa vie au bien public suivait les soubresauts de la situation dans son cher pays depuis la ville de Nice où il résidait désormais.
Jusqu’au dernier jour, notre cher Ahmed aura vécu, heure après heure, avec l’espoir d’un sursaut qui redonnerait à la Tunisie un élan hélas perdu.
Toutes nos pensées attristées vont aujourd’hui à la famille d’Ahmed, à son épouse tant aimée et à sa fille dont il était si fier.