« Avec désormais l’appui des Britanniques qui viennent d’approuver le principe d’une extradition vers les Etats-unis, la justice américaine veut juger le fondateur de WikiLeaks pour la diffusion, à partir de 2010, de plus de 700 000 documents classifiés sur les activités militaires et diplomatiques américaines, en particulier en Irak et en Afghanistan. Avec le risque d’être condamné à cent soixante-quinze ans de prison.
Malgré les appels de virtuellement toutes les organisations de défense des droits de l’homme, de défense de la liberté de la presse et de la liberté d’expression, d’organisations et de syndicats de journalistes, Priti Patel, la ministre anglaise de l’Intérieur, vient de signer l’extradition de Julian Assange. La défense a 14 jours pour faire appel. L’appel peut être refusé.
Le silence gêné de la plupart des « grands medias » qui ont exploité abondamment les données de Julian Assange dont la peine peut aller jusqu’à 175 ans de prison est vertigineux et honteux.
« Le Jour où le journalisme est mort », une chronique de Viktor Dedaj
Il s’agit d’une grande victoire pour la presse institutionnelle qui a tout fait pour réduire « la plus importante affaire de presse de notre existence » (dixit John Pilger) en un vulgaire faits divers. Une presse qui a relayé pendant plus de dix ans tous les mensonges, calomnies et légendes urbaines qui ont servi d’écran de fumée pour occulter les vrais tenants et aboutissants. Le résultat fut celui qui avait été prévu et planifié dès 2010 : faire disparaître le cas Assange de la conscience collective et procéder à l’élimination – médiatique si possible, physique si nécessaire – du journaliste le plus innovant, primé, efficace et dangereux (pour les pouvoirs corrompus) du 21ème siècle.
Une presse si prompte à faire du « fact-checking » lorsqu’il s’agit de sauver un récit officiel mais si absente lorsqu’il s’agit de sauver le représentant le plus conséquent de notre droit de savoir. Des accusations de viol (qui n’ont jamais existé) jusqu’aux pseudos « mises en danger » de vies, en passant par la qualité de ses chaussettes, rien ne lui aura été épargné. Avec une mention spéciale pour tous ceux qui ont collaboré et profité et gagné de petites fortunes sur le dos de Wikileaks, et qui n’ont pas trouvé une once de courage – ou de volonté ? – pour exprimer leur solidarité avec lui.
Et comme à chaque fois que le nom de Julian Assange apparaît dans les fils de l’actualité, on assistera à un défilé de trolls en mission, dont certains sont munis d’une carte de presse, qui nous asséneront leurs conneries habituelles. Je serais tenté de dire que l’Histoire leur sera ingrate, mais encore faut-il que l’Histoire ne soit pas réécrite au passage, comme ils l’ont déjà fait et comme ils sont encore en train de le faire.
Le meilleur des journalistes
Bien-sûr, ils diront qu’en ce qui concerne Assange et Wikileaks, il ne s’agissait pas vraiment de journalisme et que la presse institutionnelle sera toujours là pour nous informer correctement.
Le journalisme est mort non pas au fond d’un cachot, non pas d’une balle dans la tête, non pas dans l’explosion d’une voiture, ni même découpé dans une ambassade saoudienne. Il est mort le jour où il a choisi la complicité en laissant filer en silence et vers l’oubli le meilleur d’entre eux.
*Source : Le Grand Soir