El Mordjene, la pâte à tartiner algérienne très politique…

Partie d’un simple buzz publicitaire, la pâte à tartiner algérienne, El Mordjene, a fini par devenir un véritable instrument d’influence pour Alger. Loin d’éteindre le phénomène, sa brusque interdiction sur le marché européen a remis un coup de projecteur sur ce produit qui a réussi à gagner l’Amérique du Nord. Sur les réseaux, les Algériens s’en donnent à cœur joie, entre humour, règlements de compte politique …

« Une cuillérée d’El Mordjene et l’Algérie coule dans tes veines » pourrait être un slogan de cette pâte à tartiner de la marque CEBON tant elle est désormais identifiée à ce pays. C’est une vidéo réalisée au début de l’été par deux tiktokeurs qui a mis le feu aux poudres. Inconnue un mois plus tôt, El Mordjene a réussi à détrôner la suprématie du célèbre Nutella qui tenait le haut du pavé depuis six décennies. Les magasins français qui la commercialisent sont prix d’assaut, les files d’attentes s’allongent au point que les ventes sont rationnées : pas plus de deux pots par personne, malgré un prix de vente de 8 euros. Les médias s’emparent du sujet, la fierté algérienne entretient le buzz sur les réseaux sociaux, la notoriété d’El Mordjene est faite.

L’Union européenne ferme ses portes

Et puis, brusquement, le 17 septembre, la Commission européenne décide d’interdire le produit sur le marché européen en raison du non-respect des règles sanitaires. En effet, Alger ne dispose pas d’établissement agréé par Bruxelles pour exporter des produits laitiers transformés. La décision déclenche émoi, stupéfaction et surtout incompréhension côté algérien. D’abord parce que le lait contenu dans la pâte à tartiner est importé de France, ensuite parce qu’El Mordjene a pu entrer dans l’Union européenne pendant presque un an avant d’être interdite. Sans réponse claire sur ces deux points, les spéculations sur les réseaux vont bon train : « le succès fou de la marque algérienne a provoqué la panique de Ferrero, le fabricant italien de Nutella » ou encore en mode plus humoristique : « officiellement c’est une bombe calorique pour futurs diabétiques. Officieusement l’Algérie essaye de ruiner la santé des Européens » ! Plus sérieusement, le quotidien algérien TSA renvoie aux relations entre Alger et Bruxelles : «   Quand bien même l’Europe n’aurait fait qu’appliquer ses règlements, il reste que cette affaire dévoile la supercherie des accords d’association : tout en s’ouvrant aux autres marchés par le démantèlement tarifaire, l’UE ferme le sien par les barrières normatives. Ceux qui, en Algérie, dénoncent depuis deux décennies le caractère inéquitable de l’accord d’association négocié dans la précipitation avec l’UE au début des années 2000, s’en trouvent une fois de plus confortés. »

L’Amérique ouvre son marché à la pâte à tartiner…

Trois jours après son interdiction en Europe, la Food and Drug Administration ouvrait le marché nord-américain à El Mordjene et c’est ainsi que la fièvre de la pâte à tartiner atteignait le Canada où vit une importante communauté maghrébine. Elle fait aussi flores dans les pays arabo-musulmans de l’Irak à Doha en passant par la Libye. Inévitablement, la rivalité Alger/Rabat s’est aussi invitée dans les débats, accusant les Algériens d’avoir volé leur pâte Majane ou encore félicitant l’UE d’avoir interdit El Mordjene. D’autres à l’humour plus noir, préviennent les consommateurs qu’à l’instar des bippers du Hezbollah, la pâte à tartiner avait été infiltrée par le Mossad !