Par-delà le score nul concédé face à la Zambie lors de son entrée en lice à la CAN 2025, le Mali a surtout offert l’image d’une nation incapable de transformer son immense potentiel en victoire durable. Sur la pelouse comme dans la société, les Aigles semblent condamnés à buter sur le même obstacle : l’absence d’un projet collectif inclusif.
Mohamed AG Ahmedou journaliste
Lundi 22 décembre, à Casablanca, le Mali disputait son premier match officiel de la Coupe d’Afrique des nations seniors 2025 face à la Zambie. Une rencontre que les Aigles semblaient avoir en main sans jamais la dominer pleinement. En première période, Néné Dorgelès, ailier rapide et percutant, obtient un penalty. El Bilal Touré, numéro 9, s’en charge. Il le manque.
À l’heure de jeu, Lassine Sinayoko ouvre finalement le score à la suite d’un cafouillage dans la surface zambienne. Mais le Mali, fidèle à ses errements, recule, se contente de gérer. La Zambie, sans forcer, attend les dix dernières minutes pour mettre la pression et égaliser presque tranquillement.
Un nul frustrant, mais loin d’être surprenant.
Une histoire sportive qui se répète:
Le Mali n’a jamais battu la Zambie en match officiel, toutes catégories confondues. Le traumatisme le plus marquant reste la demi-finale de la CAN 1994 en Tunisie, où les Chipolopolo avaient écrasé les Aigles sur un score sans appel de 4–0.
Trente ans plus tard, les mêmes causes semblent produire les mêmes effets : manque de réalisme, fébrilité mentale, incapacité à tuer un match. Pourtant, le paradoxe malien demeure entier. Le pays regorge de talents, exporte des joueurs dans les meilleurs championnats européens, mais n’a jamais remporté la Coupe d’Afrique des nations chez les seniors.
Des boucs émissaires ?
Après le match, la colère s’est cristallisée sur El Bilal Touré, accusé d’avoir “coûté la victoire”. Certains supporters sont allés jusqu’à affirmer qu’un supporter serait décédé dans les tribunes à cause du penalty manqué, une narration émotionnelle souvent utilisée pour désigner un coupable.
Un scénario déjà vu. Avant lui, Yves Bissouma, lui aussi d’origine ivoirienne, avait été violemment pris à partie malgré son rôle central lors du parcours du Mali jusqu’à la finale du CHAN 2016, compétition pourtant remportée uniquement avec des joueurs évoluant dans le championnat local.
Néné Dorgelès et El Bilal Touré, tous deux nés et grandis en Côte d’Ivoire, sont régulièrement présentés comme des “mercenaires”, alors même qu’ils ont choisi de défendre les couleurs du Mali. Une accusation révélatrice d’un malaise plus profond : celui d’une nation qui peine à assumer sa pluralité.
2017, quand l’unité a pay!
Le seul titre continental du Mali reste celui remporté en 2017 lors de la CAN U17. Une génération soudée, portée par Salam AG Jiddou, élu meilleur joueur du tournoi. Cette victoire n’était pas seulement sportive ; elle incarnait, un instant, la promesse d’un Mali rassemblé, où chaque composante trouvait sa place.
Deux ans plus tard, cette promesse est brisée. Salam AG Jiddou est écarté, marginalisé, sacrifié sur l’autel des calculs internes de la Fédération malienne de football. Mamoutou Koné, dit Mourlay, alors homme fort du football malien, refuse d’en faire une pièce centrale du projet national.
Le puzzle malien incomplet.
Le football, reflet le l’État:
Le problème des Aigles n’est pas seulement tactique ou technique. Il est structurel, politique, presque civilisationnel. Le football malien est à l’image du pays : fragmenté, miné par les exclusions, incapable de construire une narration nationale partagée.
Dans un Mali gouverné par un régime militaire accusé d’ethnocentrisme, la sélection nationale devient elle aussi un terrain de tensions identitaires. On célèbre certains joueurs, on soupçonne d’autres. On accuse l’entraîneur, comme l’ont fait de nombreux internautes, jusqu’au rappeur Mokobé sur les réseaux sociaux , sans jamais interroger le fond du problème.
Face au Maroc, le Mali
Le deuxième match des Aigles du Mali s’annonce comme un rendez-vous à haut risque face au pays organisateur, le Maroc, un adversaire qui ravive une mémoire sportive profondément traumatique. L’histoire récente des confrontations officielles entre les deux sélections est cruelle pour les aigles du Mali, la demi-finale de la CAN 2004 en Tunisie, conclue par une lourde défaite 4-0, puis l’humiliation plus cinglante encore du 6-0 encaissé à Marrakech lors des éliminatoires de la Coupe du monde 2018 en 2016, ont durablement installé un rapport de force déséquilibré, presque psychologique. À l’approche du match de ce vendredi 26 décembre, beaucoup de Maliens redoutent que ce passé ne se répète, tant le Maroc semble historiquement se « régaler » face aux Aigles. Dans ce scénario pessimiste mais largement partagé, la Zambie, annoncée victorieuse face aux Comores, se présenterait ensuite contre le Maroc lors de la troisième journée avec une marge de manœuvre suffisante pour négocier au minimum un match nul synonyme de qualification, pendant que le Mali, déjà fragilisé, risquerait de jouer sa survie dans un dernier match périlleux contre les Comores, avec la perspective d’une élimination précoce qui dépasserait le simple échec sportif pour devenir un nouvel épisode d’un malaise plus profond.
Le football, miroir impitoyable:
Aucune grande nation africaine n’a remporté la CAN sans un minimum de cohésion nationale. Ni l’Algérie de 2019, ni le Sénégal de 2021, ni la Côte d’Ivoire de 2015. Le Mali, lui, persiste à croire qu’il peut gagner sans se réconcilier avec lui-même.
Un pays en crise profonde, traversé par les violences, les injustices et les exclusions, ne peut pas soulever un trophée continental. Même en alignant les meilleurs talents, même en faisant appel à des influences russes, turques ou autres, le résultat restera le même.
Le match nul face à la Zambie n’est pas un accident. Il est le reflet fidèle d’un Mali qui refuse encore de rassembler toutes les pièces de son puzzle national : communautés du Nord et du Sud, diaspora, joueurs locaux et binationaux, mémoires blessées et espoirs contrariés.
Tant que cette alchimie restera impossible, les Aigles continueront de voler bas. Et chaque penalty manqué deviendra le prétexte d’une colère mal dirigée, alors que la vraie faute se situe ailleurs : dans l’incapacité collective à faire nation.


























